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Changements majeurs à prévoir dans le Régime de santé et sécurité du travail

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Me Laurence Bourgeois-hatto, Me éric Thibaudeau, Me Jonathan

2020-12-03 11:15:00

Trois avocats de Langlois présentent le projet de loi no 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail...

Mes Laurence Bourgeois-Hatto, Éric Thibaudeau et Jonathan Garneau, les auteurs de cet article. Photos : Site web de Langlois
Mes Laurence Bourgeois-Hatto, Éric Thibaudeau et Jonathan Garneau, les auteurs de cet article. Photos : Site web de Langlois
Le 27 octobre 2020, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec, M. Jean Boulet, a présenté le projet de Loi no 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail.

Ce projet de loi, attendu par les acteurs du milieu depuis plusieurs années, a pour principal objet de moderniser le régime de santé et de sécurité du travail, notamment en matière de prévention et de réparation des lésions professionnelles. Pour ce faire, le PL59 modifie la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP ») ainsi que plusieurs autres lois et règlements relatifs à la santé et la sécurité du travail.

Il prévoit également l’édiction de deux nouveaux règlements, soit le Règlement sur les maladies professionnelles, lequel contient notamment la nouvelle liste des maladies professionnelles pour lesquelles la présomption de l’article 29 LATMP s’appliquera, ainsi que le Règlement sur les mécanismes de prévention, lequel contient entre autres les règles applicables en matière de programmes de prévention.

Afin de vous donner un aperçu général des modifications les plus importantes proposées par le PL59, notre équipe a procédé à une analyse complète de celui-ci et a recensé celles qui constituent des changements significatifs par rapport au régime actuel.

1. Adoption du Règlement sur les maladies professionnelles

Par son article 238, le PL59 propose aussi d’édicter le Règlement sur les maladies professionnelles. Ce règlement aurait notamment pour effet de déterminer, à ses Annexes A et B, les maladies professionnelles et les conditions particulières en lien avec celles-ci aux fins de l’application de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la LATMP.

Parmi les changements notables, nous notons l’ajout de critères particuliers à la reconnaissance d’une atteinte auditive causée par le bruit à titre de maladie professionnelle.

En ce qui concerne les nouvelles Annexes A et B, il convient de souligner l’ajout du trouble stress post-traumatique à la section des maladies professionnelles relevant des troubles mentaux ainsi que l’ajout d’une nouvelle section intitulée Maladies oncologiques.

2. Changements apportés à l’exercice du droit au retour au travail du travailleur victime d’une lésion professionnelle

Certaines modifications visent l’exercice du droit au retour au travail du travailleur victime d’une lésion professionnelle.

Par exemple, le nouvel article 170.3 LATMP prévoirait notamment une présomption selon laquelle un employeur sera présumé pouvoir réintégrer un travailleur lorsque celui-ci redevient capable d’exercer son emploi, un emploi équivalent ou un emploi convenable disponible chez son employeur, même après l’expiration du délai pour exercer son droit au retour au travail. Pour repousser cette présomption, l’employeur devra faire la démonstration de l’existence d’une contrainte excessive liée à ce retour au travail.

3. Changements apportés en matière d’assignation temporaire de travail

Le PL59 aura également pour effet d’affecter certaines règles applicables à l’assignation temporaire de travail.

Ainsi, l’article 179 LATMP serait modifié afin de prévoir l’obligation de l’employeur de recourir au formulaire de la Commission pour procéder à l’assignation temporaire d’un travail à celui-ci, ce qui serait donc la fin des formulaires maison développés par plusieurs employeurs.

Dans l’éventualité où un travailleur serait assigné à un travail comportant un nombre d’heures inférieur à celui habituellement fourni dans le cadre de son emploi, l’employeur devra inscrire, sur ce formulaire, l’option qu’il choisit relativement au versement du salaire au travailleur.

L’employeur devra donc préciser :

(1) s’il versera au travailleur le même salaire et les mêmes avantages que ceux auxquels il a habituellement droit; ou
(2) s’il versera le salaire et les avantages uniquement pour les heures de travail prévues par l’assignation temporaire.

Le PL59 prévoit également la possibilité, pour l’employeur, de modifier l’option qu’il a choisie. Cette modification ne pourra toutefois être faite qu’une seule fois pour une même lésion professionnelle.

4. Modification de certains aspects de la procédure d’évaluation médicale

La procédure d’évaluation médicale devant le Bureau d’évaluation médicale (le « BEM ») pourrait également être modifiée par le projet de loi.

En effet, lorsqu’un membre du BEM se prononcera sur la date de consolidation d’une lésion professionnelle, il devra désormais également se prononcer sur l’existence et le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique du travailleur ainsi que sur l’existence de limitations fonctionnelles, lorsqu’elles n’ont pas encore été déterminées.

5. Création du Comité des maladies professionnelles oncologiques et du Comité scientifique sur les maladies professionnelles

Le PL59 propose d’instituer un Comité des maladies professionnelles oncologiques ainsi qu’un Comité scientifique sur les maladies professionnelles.

Le Comité des maladies professionnelles oncologiques sera notamment chargé de déterminer si un travailleur est atteint d’une maladie professionnelle oncologique, sauf dans les cas où il sera présumé atteint d’une maladie professionnelle visée à l’article 29 LATMP. La Commission sera liée par le diagnostic et les autres constatations établis par ce comité.

Pour sa part, le Comité scientifique sur les maladies professionnelles aura pour mandat de faire des recommandations au ministre ou à la Commission en matière de maladies professionnelles. Pour ce faire, il devra notamment recenser et analyser les recherches et études en matière de maladies professionnelles, analyser les relations causales entre les maladies et les risques particuliers qui y sont liés ou encore produire des avis écrits sur l’identification des maladies professionnelles et les divers contaminants.

6. Modification du processus de contestation des décisions

Avec le PL59, le processus de contestation des décisions permettra désormais à celui qui conteste, à certaines conditions, de référer le litige directement au Tribunal administratif du travail, sans d’abord obtenir une décision en révision administrative.

Ainsi, une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission pourra, à son choix, demander la révision dans les 30 jours de sa notification ou la contester devant le Tribunal administratif du travail dans les 60 jours de sa notification. Toutefois, seules certaines décisions pourront être contestées directement devant le Tribunal administratif du travail. Il s’agit des décisions :

(1) qui portent sur un sujet visé aux paragraphes 1 à 5 de l’article 212 à la suite d’un avis rendu par le BEM;
(2) rendues en vertu du deuxième alinéa de l’article 230 à la suite d’un avis par un comité spécial;
(3) rendues en vertu du deuxième alinéa de l’article 233.5 à la suite d’un rapport produit par un comité des maladies professionnelles oncologiques; ou
(4) rendues en vertu des chapitres IX (financement et imputation) ou X (employeurs tenus personnellement au paiement des prestations).

Enfin, l’article 365 LATMP serait modifié afin de permettre à la Commission de reconsidérer une décision dans les six mois (auparavant 90 jours) pour y corriger toute erreur, sauf si cette décision a été contestée devant le Tribunal administratif du travail.

7. Modifications aux dispositions relatives à l’imputation des coûts des lésions professionnelles

Les articles relatifs à l’imputation des coûts de lésions professionnelles subiront eux aussi des modifications qui pourraient avoir des répercussions financières importantes pour les employeurs.

Bien qu’il soit difficile, en date d’aujourd’hui, de prévoir de façon précise les conséquences qu’auront les modifications à ces articles ainsi que la façon dont ceux-ci seront interprétés. Cependant, certains éléments viennent changer les règles en matière de partage de coûts et de désimputation et méritent que nous leur accordions une attention particulière :
  • La notion « d’employeur obéré injustement » sera retirée des articles 326 et 328 LATMP, ce qui témoigne d’un désir de limiter, voire restreindre, les demandes présentées par les employeurs pour cette raison;

  • L’article 327 LATMP sera modifié afin d’énoncer de façon précise les situations donnant ouverture à son application. Une demande en vertu de cet article ne pourrait être faite qu’une fois la décision finale portant sur l’admissibilité d’une lésion rendue;

  • Enfin, l’article 329 LATMP contiendra un nouvel alinéa qui viendra préciser la notion de « travailleur déjà handicapé » prévue à son premier alinéa;

  • Ainsi, sera considéré comme déjà handicapé le travailleur ayant, avant sa lésion professionnelle, une déficience entraînant une incapacité significative et persistante et qui est sujet à rencontrer des obstacles dans l’accomplissement d’activités courantes;

  • Les notions « d’incapacité significative et persistante », « d’obstacles » et « d’activités courantes » sont nouvelles et devront nécessairement, à notre avis, être définies. Il nous semble toutefois que la démonstration d’un « handicap préexistant » donnant ouverture à un partage des coûts ne sera pas facilitée par l’ajout de ces critères.


8. Modifications apportées à la Loi sur la santé et la sécurité du travail

Le projet de loi met également de l’avant certaines modifications à la Loi sur la santé et la sécurité du travail, notamment en ce qui concerne l’application des mécanismes de prévention, en fonction de la taille des établissements et du niveau de risques des activités qui y sont exercées.

Il propose également de modifier la loi afin d’obliger les employeurs à prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection d’un travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale ou familiale.

9. Adoption de nouveaux règlements

Enfin, de nombreux éléments du PL59 pourront ou devront être précisés par voie réglementaire. Ce faisant, la Commission disposera, à certains égards, d’un pouvoir réglementaire accru.

Conclusion

La présentation du projet de loi no 59 permet de prendre en compte l’ampleur des modifications proposées par le gouvernement afin de moderniser le régime de santé et sécurité du travail. Avant d’être en vigueur, celui-ci devra désormais franchir l’ensemble des étapes du cheminement d’un projet de loi. Il est également susceptible d’être modifié substantiellement d’ici son adoption, notamment à la suite des consultations particulières et de son étude détaillée en commission parlementaire.

Notre équipe de droit du travail et de l’emploi s’assurera de vous tenir informés de l’évolution et du cheminement de ce projet de loi qui aura certainement des impacts importants sur le régime de santé et sécurité du travail, tel que nous le connaissons actuellement.


À propos des auteurs

Laurence Bourgeois-Hatto est avocate associée au bureau de Langlois Avocats. Elle exerce principalement en droit du travail et de l’emploi. Elle se spécialise notamment en santé et sécurité au travail, qu’il s’agisse de questions relevant du Tribunal administratif du travail (TAT), ou encore des infractions pénales de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) instruites à la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale.

Éric Thibaudeau est avocat associé au bureau de Langlois Avocats. Il est spécialisé en santé et sécurité au travail, autant pour les questions relevant du Tribunal administratif du travail (TAT) que les infractions pénales de la CNESST entendues à la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale. De plus, il agit à titre de procureur patronal en matière d’arbitrage de griefs, de relations de travail et de décret de convention collective. Finalement, Me Thibaudeau conseille entrepreneurs et donneurs d’ouvrage pour toute matière relevant des autorités réglementaires de l’industrie de la construction, telles la Commission de la construction du Québec, la Régie du bâtiment du Québec et l’Autorité des marchés financiers.

Jonathan Garneau CRHA, est avocat au bureau de Langlois Avocats où il exerce au sein de l’équipe de droit du travail et de l’emploi. Dans le cadre de sa pratique, il est appelé à intervenir dans les différents domaines relatifs au droit du travail. Il a également un intérêt marqué pour le droit de l’immigration.

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