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L’impact de la COVID-19 sur les délais-congés octroyés par les tribunaux civils

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Annie Bourgeois Et Catherine Maclean

2021-06-01 11:15:00

Un employé peut-il valablement prétendre avoir droit à un délai-congé raisonnable plus long en raison de pandémie ?

Annie Bourgeois. Source : Site web de Langlois Avocats
Annie Bourgeois. Source : Site web de Langlois Avocats
Depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020, le milieu du travail a subi plusieurs changements imposés par la propagation du virus de la COVID-19. Les restrictions gouvernementales et la mise sur pause de la société québécoise ont forcé plusieurs entreprises à réévaluer et réajuster leurs besoins pour faire face à cette nouvelle réalité.

Dans ce contexte, plusieurs entreprises ont dû se départir de leurs employés de façon définitive, notamment, à la suite d’abolitions de poste ou de manque de travail. Dans cette situation, l’article 2091 du ''Code civil du Québec'' (« CCQ ») est clair, ces employés ont droit à un délai-congé raisonnable.

Plus particulièrement, le CCQ prévoit qu’un employé qui bénéficie d’un contrat à durée indéterminée a droit à un délai-congé raisonnable lorsque l’employeur met fin à son emploi sans motif sérieux. Les critères analysés par les tribunaux pour déterminer la durée de ce délai-congé sont notamment (i) la nature de l’emploi (ii) les circonstances particulières dans lesquelles l’employé exerce son travail et (iii) la durée de la prestation de travail.

La pandémie de la COVID-19 amène certains questionnements sur l’impact que pourrait avoir la situation actuelle sur la durée du délai-congé raisonnable auquel a droit un employé dont on a mis fin à l’emploi peu avant ou depuis le début de la crise. Un employé peut-il valablement prétendre avoir droit à un délai-congé raisonnable plus long en raison de pandémie?

Délai-congé plus long?

Il appert que les tribunaux québécois, à ce jour, ne se sont pas encore penchés sur la question à savoir si les circonstances socio-économiques de la pandémie permettent aux employés de se faire accorder un délai-congé plus long que ceux normalement accordés avant la crise de la COVID-19. Cela dit, les tribunaux des autres provinces canadiennes ont donné plusieurs indices indiquant qu’un délai-congé plus long en raison de la pandémie ne sera pas facilement accordé. Nous vous présentons l’état de cette jurisprudence.

Tout d’abord, il faut garder en tête le principe de base voulant que la durée du délai-congé soit analysée à la lumière des circonstances existantes au moment où le congédiement a lieu, tel que le réitère la décision récente ''Yee c. Hudson’s Bay Company'' 1. Dans cette affaire, le demandeur prétendait avoir droit à une indemnité tenant lieu de délai-congé plus importante que celle proposée par son ancien employeur, notamment en raison de la difficulté à trouver un emploi dans le contexte de la pandémie. Le juge tranche que l’analyse du délai-congé devrait être effectuée la journée de son congédiement, soit le 28 août 2019, bien avant le début de celle-ci.

La Cour prend néanmoins la peine de mentionner qu’un congédiement ayant eu lieu avant le début de la pandémie ne devrait pas engendrer les mêmes considérations, au niveau de la recherche d’emploi comparable, que celles lors d’un congédiement ayant eu lieu après le début de la pandémie. Le juge laisse donc sous-entendre que, pour être en mesure de soulever l’effet nuisible de la pandémie dans l’analyse délai-congé, la fin d’emploi doit avoir eu lieu pendant celle-ci.

Cela dit, afin de pouvoir potentiellement bénéficier d’un délai-congé plus long en raison de la crise sanitaire, l’employé doit prouver les effets néfastes de cette crise sur le temps requis pour se trouver un autre poste. De fait, dans la décision ''Marazzato c. Dell Canada Inc.'' 2, le juge de la Cour supérieure de l’Ontario n’a pas tenu compte du ralentissement économique causé par la COVID-19, car aucune preuve n’avait été présentée par M. Marazzato indiquant qu’il y avait une difficulté supplémentaire à trouver un nouvel emploi – ce dernier avait été congédié le 4 mars 2020 de son poste de Directeur principal des ventes. Au contraire, la Cour stipule que M. Marazzato possédait un ensemble de compétences en informatique qui lui auraient été bénéfiques et avantageuses lors de la pandémie de COVID-19.

Qui plus est, quoique les tribunaux soient disposés à considérer l’impact de la pandémie dans l’analyse de l’octroi d’un délai-congé raisonnable, si une preuve selon laquelle la pandémie a eu un effet sur les capacités de l’employé à se replacer dans le marché du travail est administrée, la situation économique engendrée par la crise sanitaire n’est que l’un des facteurs qui sera pris en compte par les tribunaux dans leurs analyses. En d’autres mots, les tribunaux ne semblent pas a priori accorder un poids plus important à la situation pandémique qu’aux autres éléments traditionnellement pris en compte par les tribunaux dans la détermination d’un délai-congé raisonnable.

À cet égard, dans la décision ''Iriotakis c. Peninsula Employment Services Limited'' 3, la Cour supérieure de l’Ontario reconnaît que la pandémie a eu une influence sur la recherche d’emploi de la défenderesse (congédiée le 25 mars 2020 de son poste de Directeur du développement commercial) et que les parties devraient considérer son impact. Cependant, la Cour préconise une approche équilibrée, indiquant que les difficultés reliées à la pandémie ne s’appliquent pas à l’exclusion d’autres critères qui doivent être pris en compte dans un délai-congé.

La Cour du banc de la Reine de l’Alberta dans la décision ''Kosteckyj c. Paramount Resources Ltd'' 4 a formulé une analyse similaire à celle dans la décision Iriotakis. Bien que le juge tienne compte de la pandémie comme élément à considérer dans la recherche d’emploi pour une ingénieure, il retient également le ralentissement économique de l’industrie pétrolière et gazière de l’Alberta.

Finalement, une question intéressante s’est posée dans la décision Iriotakis précitée, à savoir si la Prestation canadienne d’urgence (« PCU ») qu’avait touchée le demandeur (2 000 $ par mois) devait être soustraite du délai-congé octroyé par la Cour. Le juge déclare qu’il ne serait pas équitable, dans les circonstances, de réduire le montant accordé par la PCU de l’indemnité tenant lieu du délai-congé raisonnable à laquelle avait droit M. Iriotakis. La Cour retient les faits suivants pour justifier sa position : (i) le 2 000 $ par mois qu’avait reçu M. Iriotakis était un montant relativement moindre que le salaire qu’il touchait chez son ancien employeur et (ii) la durée de l’emploi de M. Iriotakis étant seulement de 28 mois, il n’avait donc droit qu’à un court délai-congé raisonnable. Malgré la position prise la Cour dans cette affaire, c’est-à-dire de ne pas réduire les prestations de la PCU de l’indemnité tenant lieu du délai-congé raisonnable octroyé, il est possible à notre avis que dans un autre contexte un juge en vient à une conclusion différente.

En pratique, ces décisions nous permettent d’affirmer que l’octroi d’une indemnité tenant lieu de délai-congé raisonnable plus importante en temps de crise sanitaire est loin d’être une garantie. Pour ce faire, non seulement faut-il que le congédiement ait lieu après le début de la pandémie, mais il est également nécessaire de prouver l’impact de la pandémie sur la recherche d’emploi. Notons également que des critères externes, tels que la PCU, pourraient être pris en compte.

Il sera intéressant de voir si les tribunaux québécois vont suivre le pas des autres provinces canadiennes.

Sur les auteurs
Me Annie Bourgeois, CRHA, est associée au bureau de Langlois Avocats à Montréal. Elle pratique le droit du travail et de l’emploi ainsi que le litige en général. Cet article a été rédigé en collaboration avec Catherine MacLean, stagiaire en droit.


1.Yee c. Hudson’s Bay Company, 2021 ONSC 387, par. 21.
2.Marazzato c. Dell Canada Inc., 2021 ONSC 248.
3.Iriotakis c. Peninsula Employment Services Limited, 2021 ONSC 998.
4.Kosteckyj c. Paramount Resources Ltd, 2021 ABQB 225.
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