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Le projet de loi n° 96 et les ordres professionnels

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Christiane Brizard Et Guillaume François Larouche

2021-06-03 11:15:00

Retour sur le projet de loi n° 96 du ministre Jolin-Barette et ses répercussions pour les ordres professionnels…

Les auteurs Christiane Brizard et Guillaume François Larouche. Source : Langlois Avocats
Les auteurs Christiane Brizard et Guillaume François Larouche. Source : Langlois Avocats
Le 13 mai 2021, le ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française, M. Simon Jolin-Barrette, déposait le Projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (« PL 96 »). Celui-ci a pour objet d’affirmer que la seule langue officielle du Québec est le français et que le français est la langue commune de la nation québécoise. Dans cet article, nous vous partageons nos réflexions préliminaires concernant ce projet de loi et ses effets sur les ordres professionnels au Québec.

Au regard des modifications proposées par le PL 96, trois grandes préoccupations pourraient concerner les ordres professionnels au Québec :

#Le respect des droits des membres des ordres professionnels issus de la communauté anglophone;
#La poursuite de la protection du public dans l’application des nouvelles dispositions; et
#Ne pas ajouter de lourdeurs administratives aux ordres professionnels et à leurs membres.

Le PL 96 prévoit le droit d’être informé et servi en français au Québec 1. Le projet de loi prévoit maintenant la nécessité pour une entreprise offrant des biens ou des services de respecter le droit du consommateur d’être informé et servi en français. De surcroît, l’entreprise offrant des biens et des services à un public autre que des consommateurs doit le faire en français d’entrée de jeu.

Mesure phare du gouvernement de M. François Legault, le projet de loi très attendu propose des modifications législatives dans de nombreux secteurs d’activités de l’État et de la société québécoise. Bien que le projet de loi ait été perçu comme constituant principalement une réforme de la Charte de la langue française (« Charte » ou « Loi 101 »), le PL 96 propose des modifications à plusieurs autres textes législatifs et réglementaires, notamment les dispositions applicables aux ordres professionnels contenus dans la Charte et dans le Code des professions.

En ce qui concerne le système professionnel au Québec, le PL 96 précise l’encadrement applicable aux ordres professionnels et à leurs membres concernant l’utilisation du français, notamment en obligeant ces derniers à maintenir une connaissance appropriée du français à l’exercice de leur profession.

Les ordres devront entre autres se pencher sur les moyens à leur disposition pour évaluer la connaissance du français par leurs membres.

Par ailleurs, le projet de loi viendra apporter des modifications substantielles quant à l’utilisation du français et d’autres langues dans plusieurs textes, documents et actes relatifs à la législation et à la justice.

  • Conformément aux modifications apportées au préambule de la Loi 101, le PL 96 entend modifier cette loi pour y prévoir qu’en cas de divergence entre les versions française et anglaise d’un texte de loi, le texte français prévaut dans la mesure où les règles d’interprétation ordinaires ne permettent pas de résoudre la divergence;

  • En cas de divergence entre les versions française et anglaise d’un texte de loi, et à moins que les règles d’interprétation ordinaires permettent de résoudre le conflit, la version française prévaudra 2;

  • Certains règlements et autres actes semblables 3, notamment les règlements municipaux, seront rédigés, adoptés et publiés exclusivement en français 4;

  • Les actes de procédure émanant d’une personne morale et rédigés en anglais devront être accompagnés d’une traduction en français certifiée, le tout aux frais de la personne morale 5;

  • Un jugement ou une décision qui met fin à une instance ou qui présente un intérêt pour le public, rendu en anglais par un tribunal judiciaire ou une personne ou un organisme exerçant des fonctions juridictionnelles, devra être accompagné sans délai d’une version française 6.


Notons que le PL 96 maintient le droit d’employer le français ou l’anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Québec et dans tous les actes de procédure qui en découlent.

La langue des organismes parapublics et des ordres professionnels

La Charte prévoyait déjà le droit de recevoir des communications en français par les ordres professionnels 7. Le PL 96 vient étendre cette obligation aux membres des ordres professionnels lorsqu’ils communiquent avec des tiers ou d’autres membres d’ordres professionnels 8.

Le PL 96 prévoit effectivement que les ordres professionnels devront « utiliser uniquement » la langue française dans leurs communications avec « l’ensemble ou une partie de leurs membres et des candidats à l’exercice de la profession » 9.

Cette modification pourrait avoir pour effet de restreindre la possibilité pour les ordres professionnels d’envoyer à leurs membres ou au public des communications bilingues ou des avis en version anglaise.

L’obligation pour les professionnels de maintenir une connaissance appropriée du français

Le PL 96 prévoit qu’un professionnel titulaire d’un permis au sens de l’article 35 de la Charte doit maintenir durant la durée de validité de son permis une « connaissance de la langue officielle appropriée à l’exercice de la profession »10.

Le PL 96 prévoit qu’un membre qui contrevient à l’article 35.1 de la Charte commet un acte dérogatoire à la dignité de sa profession au même titre que les actes impliquant de la collusion, de la corruption, de la malversation, de l’abus de confiance ou du trafic d’influence, par exemple.

Cette mesure est limitée, cependant, car un ordre professionnel pourra tout de même délivrer un permis visé aux articles 40 à 42.2 du Code des professions à « une personne qui n’a pas de la langue officielle une connaissance appropriée à l’exercice de la profession », pour une période d’un an selon les conditions prévues à ces articles du Code des professions qui habilitent les ordres à reconnaître des équivalences.

L’ordre professionnel pourra toutefois utiliser une autre langue en plus de la langue officielle dans une communication particulière ou à l’oral à l’une des personnes suivantes :

#un candidat à l’exercice de la profession qui demande à ce qu’un permis lui soit délivré conformément à l’article 37 ou en vertu de l’article 40 de la Charte;
#un membre de l’ordre qui, en vertu de la présente loi, n’est pas tenu d’avoir une connaissance appropriée de la langue officielle à l’exercice de la profession.

Permis

L’article 38 de la Charte n’a pas été modifié, il serait donc toujours possible de renouveler le permis temporaire à trois reprises selon les conditions prévues.

38. Les permis visés à l’article 37 ne sont renouvelables que trois fois, avec l’autorisation de l’Office québécois de la langue française si l’intérêt public le justifie. Pour chaque renouvellement, les intéressés doivent se présenter à des examens tenus conformément aux règlements du gouvernement.

L’Office indique, dans le rapport annuel de ses activités, le nombre de permis dont il a autorisé le renouvellement en vertu du présent article.

Permis restrictif

L’article 40 de la Charte a aussi été modifié pour conférer des pouvoirs à l’Office québécois de la langue française afin de fixer la durée et les conditions du permis restrictif que peut délivrer un ordre professionnel.

Conclusion

Même si ces réflexions devront être approfondies à l’aune des contextes particuliers à chaque ordre professionnel, les ordres pourraient avoir intérêt à considérer une participation aux consultations particulières en commission parlementaire qui auraient lieu sous peu. Langlois avocats possède une équipe chevronnée qui pourra les accompagner au besoin.

Sur les auteurs
Christiane Brizard est associée au bureau de Langlois Avocats à Montréal. Elle exerce principalement dans le domaine de la gouvernance, de l’éthique et du droit professionnel, tandis Guillaume François Larouche exerce principalement en droit public des affaires ainsi qu’en litige civil et commercial.


1 PL 96, art. 41 modifiant la Charte en ajoutant l’article 50.2.

2 Voir art. 5 du projet de loi, qui propose d’insérer à la Loi 101 l’art. 7.1.

3 Les règlements et les autres actes de nature similaire auxquels ne s’applique pas l’art. 133 L.C. 1867.

4 Voir art. 5 du projet de loi, qui propose une nouvelle version de l’art. 8 de la Loi 101.

5 Voir art. 5 du projet de loi, qui propose une nouvelle version de l’art. 9 de la Loi 101.

6 Voir art. 5 du projet de loi, qui propose une nouvelle version des art. 10 et 11 de la Loi 101.

7 Charte, art. 2.

8 PL 96, art. 3 modifiant l’article 2 de la Charte.

9 PL 96, art. 21 modifiant l’article 32 de la Charte.

10 PL 96, art. 23 modifiant la Charte par l’insertion après l’article 35 de l’article 35.1.
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2 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 2 ans
    Quelle rédaction nulle !
    « utiliser uniquement » la langue française dans leurs communications avec « l’ensemble ou une partie de leurs membres et des candidats à l’exercice de la profession »


    Un ordre professionnel pourrait donc dire: "à l'ordre professionnels des XYZ patentés du Québec, nous utilisons uniquement la langue française dans nos communication avec une partie de nos membres, comme le permet la loi par l'emploi de la conjonction "ou", dans la disposition applicable".


    S'il avait voulu être pragmatique, Jolin-Barette aurait pu mettre fin à une pratique répandue chez les syndics adjoints, qui écrivent souvent: "le plaignant s'est plaint en anglais, alors veuillez nous faire parvenir vos explications en anglais".

  2. David Schulze
    David Schulze
    il y a 2 ans
    Autres changements
    Le projet de loi propose aussi d’abroger le droit établi à l’art. [https://canlii.ca/t/19lp#art9|9] de la ''Charte de la langue française'' pour tout justiciable d’obtenir une traduction anglaise ou française de « tout jugement rendu par un tribunal judiciaire et toute décision rendue par un organisme exerçant des fonctions quasi-judiciaires » et ce, aux frais du gouvernement. Ce droit serait remplacé par une obligation de joindre une traduction française à tout jugement final rendu en anglais et le droit d’obtenir une traduction française de tout jugement interlocutoire.
    Ce changement est peu généreux envers les justiciables qui comprennent mal le français et de plus, empêcherait les juristes ailleurs au Canada de prendre connaissance de la jurisprudence québécoise.
    Aussi, le P.L. 96 créerait une nouvelle obligation de joindre « une traduction en français certifiée… à tout acte de procédure rédigé en anglais émanant d’une personne morale » et ce, à ses propres frais. Il n’est pas clair comment cette obligation peut être conciliée avec le droit accordé par l’art. [https://www.canlii.org/fr/ca/legis/lois/30---31-victoria-c-3/derniere/30---31-victoria-c-3.html#art133_smooth|133] de la ''Loi constitutionnelle de 1867'' aux justiciables de recourir à l’une ou l’autre des langues anglaise et française devant « tous les tribunaux » du Québec.
    Enfin, il appartiendrait exclusivement au ministre de la Justice et au ministre de la Langue française – plutôt qu’aux juges en chef ou présidents de tribunaux – de décider si la fonction de juge ou une autre fonction juridictionnelle exigent la connaissance d’une langue autre que le français. C’est à se demander si le gouvernement comprend que la Cour du Québec juge la vaste majorité de causes criminelles et que l’art. [https://www.canlii.org/fr/ca/legis/lois/lrc-1985-c-c-46/derniere/lrc-1985-c-c-46.html#art530par1_smooth|530] du ''Code criminel'' donne à l’accusé le droit absolu à l’accès à la justice dans la langue officielle qu’il estime être la sienne, l« donc tenus d’être institutionnellement bilingues afin d’assurer l’emploi égal des deux langues officielles du Canada » : ''[https://canlii.ca/t/1fqnt|R. c. Beaulac]'', [1999] 1 RCS 768.

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