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L’état d’urgence, 351 actions législatives plus tard

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Jean-francois Parent

2022-03-10 15:00:00

Depuis le premier décret de Québec instaurant l’état d’urgence sanitaire, il y a deux ans, Québec refuse toujours de les soumettre au débat. Un prof de droit s'inquiète…

Louis-Philippe Lampron. Photo : Site Web de l'Université Laval
Louis-Philippe Lampron. Photo : Site Web de l'Université Laval
Le nombre a lui seul est remarquable : depuis le début du mois de mars 2022, soit exactement 24 mois depuis le début de la pandémie, le gouvernement Legault s’est livré à 351 actions législatives.

Sans que personne, encore moins l’Assemblée nationale, n’en débatte. La raison est bien connue : c’est l’article 119 de la ''Loi sur la santé publique'', qui permet le renouvellement du décret aux 10 jours sans l’assentiment de l’Assemblée nationale.

Au 9 mars 2022, le gouvernement Legault a ainsi rendu 124 décrets prolongeant l’urgence sanitaire, et 190 arrêtés ministériels, totalisant 314 décisions prises à huis clos. À cela s’ajoutent les 37 règlements ordonnés depuis le début de la pandémie, et officialisés par décret.

Par contre, les parlementaires se sont prononcés sur l’ensemble des 11 lois sanctionnées, et 4 des 6 projets de loi soumis aux consultations depuis le printemps 2020 ont été abandonnés à la suite des consultations.

Normaliser l’anormal

Depuis un an qu’il déplore que la CAQ ait rompu l’équilibre démocratique entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire, Louis-Philippe Lampron craint que l’on ne « risque de se retrouver face à une normalité législative, alors que c’est tout à fait le contraire », relate le professeur de la faculté de droit de l’Université Laval.

François Legault pourrait choisir de se prévaloir de la disposition de l’article 119 permettant le prolongement de l’état d’urgence pour 30 jours, assortie d’une obligation de consulter les parlementaires. « Mais le gouvernement a choisi d’agir selon son intérêt politique, soit sans contrepoids. Pourtant, les pouvoirs exorbitants conférés par la loi exigent plus de transparence. »

Il cite le cas de la Loi sur les mesures d’urgence fédérale, invoquée par le gouvernement Trudeau pour gérer les manifestations qui ont agité Ottawa pendant trois semaines, plus tôt cet hiver. « L’obligation de consulter le parlement est inscrite dans la loi. Elle permet de l’appliquer dans l’urgence pendant 7 jours, mais ensuite il faut en débattre. À Québec, on ne donne pas d’indication de vouloir corriger cette faille dans la LSP. »

Miner la confiance

Le Barreau du Québec s’en est d’ailleurs inquiété, voici quelques semaines, exhortant Québec à respecter la démocratie. Déplorant le manque d’explications claires quant aux raisons rationnelles qui justifient de maintenir des règles exceptionnelles depuis 2 ans, le Barreau estime qu’il est plus que temps que des contrepoids soient mis en place « afin de garantir la confiance du public envers l’état de droit ».

Le Barreau exige ainsi un cadre juridique qui balisera la sortie de crise, et la révision de la Loi sur la santé publique afin de préciser la portée des pouvoirs extraordinaires pour lesquelles aucune limite temporelle n’est prévue, ni de mécanisme de consultation obligatoire.

Louis-Philippe Lampron remarque en outre que « le gouvernement Legault n'a rien fait depuis 2 ans pour corriger la LSP, », renforçant les craintes de plusieurs que la situation ne devienne permanente. Le Barreau s’inquiétait d’ailleurs, à l’été 2020, de « la volonté d’introduire une modification qui aurait permis au gouvernement de prolonger l’état d’urgence sanitaire de façon indéfinie », lors des consultations sur le défunt projet de loi 61, soit la Loi visant la relance de l’économie du Québec.

Pas de révisions de la LSP

Les tribunaux ont pourtant tranché la question : la lettre de la loi est respectée, et le gouvernement bénéficie d’une « sorte d’assentiment indirect des décrets ». C’est d’ailleurs pourquoi la faille doit être corrigée, rétorquent les critiques. D’autant que la Cour d’appel concède que « la Loi sur la santé publique crée un déséquilibre entre les pouvoirs législatifs et les pouvoirs exécutifs ».

Au cabinet du premier ministre Legault, les choses sont claires, précise l’attaché de presse de François Legault, Erwan Sauves, dans un courriel à Droit-Inc.

« Depuis le tout début de la pandémie, on a respecté la Loi en tous points. Elle permet au gouvernement de déclarer l’état d’urgence sanitaire et de le renouveler aux 10 jours. Ce n’est pas la CAQ qui a fait cette loi : c’est le Parti québécois avec l’appui du Parti libéral. Maintenant, comme nous l’avons déjà confirmé, nous avons l’intention de déposer un projet de loi dans les prochaines semaines pour mettre fin à l’état d’urgence sanitaire, tout en venant encadrer certaines règles dont nous aurons encore besoin. On veut assurer une transition entre la pandémie et l’après-pandémie. »

Quant à la question de savoir si on compte réviser la LSP, comme le demandent plusieurs intervenants, dont le Barreau, François Legault n’a pas répondu à cette question précise.

L’idée de promettre un projet de loi balisant la sortie de crise n’émeut guère Louis-Philippe Lampron. « Ça fait 3 ou 4 fois que le gouvernement Legault dit qu’un projet de loi s’en vient, comme on nous l’a dit lors des campagnes de vaccination, et rien n’a encore été fait. »
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