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Radio-Canada sait piquer notre curiosité

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Dany Doucet

2010-12-13 10:15:00

Dany Doucet, rédacteur en chef du Journal de Montréal, répond aux allégations de l'avocat Hubert Lacroix, président de Radio-Canada, qui accuse Quebecor de se servir de ses journalistes pour nuire à la SRC.

Il est quand même assez fascinant de voir à quel point la Société Radio-Canada, elle-même un média, ne comprend pas pourquoi Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et les autres journaux de Sun Media s'intéressent autant à elle.

C'est pourtant si simple à comprendre !

Encore cette semaine, le président de cette société de la couronne, Hubert Lacroix, a décoché ses flèches à l'endroit des médias de Quebecor, laissant entendre que l'entreprise utilisait ses journalistes pour «salir la réputation» du diffuseur public.

M. Lacroix, qui est d'abord un avocat de carrière, y voit un grand plan. Évidemment, comme tout bon avocat, il réclame plus de réglementation pour encadrer les médias.

«M. Péladeau et Quebecor sont dotés d'une structure verticale. Ils peuvent utiliser les médias de la chaîne Sun et médire sur le compte de Radio-Canada, et nous nous assurons que l'information soit corrigée lorsque celle-ci est utilisée de façon injuste à nos yeux», a déclaré M. Lacroix, devant le comité permanent du Patrimoine canadien de la Chambre des communes.

Si M. Lacroix était journaliste, il comprendrait mieux pourquoi nous nous intéressons autant à la SRC au lieu d'y voir un grand complot.

Je vais donc lui expliquer.

400 demandes d'accès

M. Lacroix n'en revient pas que les journaux de Sun Media aient fait au moins 400 demandes d'accès à l'information en 2007 pour connaître toutes sortes d'informations au sujet de la Société.

En 2009-2010, la SRC a reçu 247 demandes, et pas seulement de Sun Media.

Une chance que M. Lacroix ne dirige pas les commissions scolaires du Québec auxquelles, à lui seul, Le Journal a déposé au moins 500 demandes d'accès à l'information en moins de deux ans.

Il faut dire que les commissions scolaires sont irritées, elles aussi. Elles nous trouvent également bien fatigants, mais elles ne sont pas encore allées jusqu'à dire qu'il y a un grand plan de Quebecor derrière tout ça.

Chaque semaine, Le Journal dépose à lui seul entre 30 et 50 demandes d'accès à l'information, tant au niveau municipal, que provincial ou fédéral. Pas plus tard que vendredi, notre bureau du Parlement provincial en a déposé 100 en une seule journée!

(Ne vous en faites pas, celles-ci ne concernent pas Radio-Canada...)

Qui d'autre que nous?

L'idée est tellement simple : nous voulons savoir comment les élus et les fonctionnaires dépensent l'argent des contribuables. Si on n'a pas recours à la loi, on nous raconte n'importe quoi ou rien du tout.

C'est moi qui ai recruté le colonel à la retraite Michel Drapeau, expert canadien de la loi d'accès à l'information et auteur de plusieurs livres, pour nous former et nous aider à mieux cibler et formuler nos demandes auprès d'organismes comme le vôtre.

Nous avons recours à ses services lorsque nous savons ou constatons que les organismes publics résistent à leur obligation de nous dévoiler des informations publiques.

Radio-Canada n'est pas le seul organisme fédéral dans cette catégorie. Le colonel Drapeau nous aide ailleurs -au ministère de la Défense, par exemple.

Me Drapeau est un avocat, comme Me Lacroix. Comme avec toute sommité, ses services ont un prix, mais, heureusement, Le Journal fait partie d'un groupe de presse important, l'un des seuls à avoir les reins assez solides pour se mesurer à Radio-Canada.

D'ailleurs, si nous n'avions pas les moyens dont nous disposons, je me demande bien qui oserait s'intéresser de près à Radio-Canada, compte tenu de tous les bâtons que l'organisme nous met dans les roues et de toutes les tactiques qu'elle emploie pour ne pas répondre à nos questions.

Certainement pas un simple citoyen, en tout cas, pour qui la Loi d'accès à l'information avait pourtant été pensée.

Au Québec, l'autre important groupe de presse, Gesca, filiale de l'empire Power Corporation, couche dans le même lit que Radio-Canada : promotions croisées, coordination des contenus, émissions de télé... De plus, plusieurs de ses journalistes reçoivent régulièrement des cachets pour participer aux émissions d'information ou d'affaires publiques de la SRC.

Dans ce contexte, il n'est pas très étonnant que Gesca ne s'intéresse guère aux comptes de dépenses des dirigeants de la société d'État, n'est-ce pas ?

Pas facile de changer les mœurs

Je comprends toutefois que tout cela soit nouveau pour l'équipe de M. Lacroix.

Radio-Canada n'est assujettie à la Loi fédérale d'accès à l'information que depuis septembre 2007.

Or, quand cela fait trois quarts de siècle qu'une entreprise publique mène ses affaires grassement subventionnées à l'abri des regards et des questions du public (et, surtout, des médias concurrents), je comprends que les efforts de transparence soudainement exigés soient énervants. Ou pour le moins gênants.

Heureusement, la Loi sur l'accès à l'information force la SRC à devenir redevable et imputable envers le public. Cette dernière résiste farouchement, pour le moment, en ne donnant les réponses à nos questions qu'au compte-gouttes et en utilisant différents subterfuges pour retarder le dévoilement des documents. Mais un jour ou l'autre, elle n'aura pas d'autre choix que de s'y conformer.

Tant mieux, car des questions à poser, il nous en reste encore des centaines, sinon des milliers si la Loi nous permettait d'en poser au sujet des activités de programmation et d'information de l'organe fédéral, ce qui n'est malheureusement pas le cas.

1 milliard$ en subventions

Comme les activités d'information et de programmation ne sont pas soumises à la Loi d'accès à l'information, nous posons donc des questions sur tout le reste, principalement sur l'appareil administratif qui gère les fonds publics engloutis dans la SRC.

Ce n'est quand même pas rien : les contribuables canadiens injectent 1,1 milliard $ dans Radio-Canada.

C'est de loin la société de la couronne la plus subventionnée. En même temps, c'est aussi la moins surveillée avec le Conseil du Trésor et le Bureau de la vérificatrice générale.

Dernier point pour éclairer M. Lacroix sur notre travail journalistique : moins un organisme est transparent et plus il utilise d'astuces pour se soustraire à nos questions, plus il pique la curiosité des journalistes qui ont du flair pour ce qui ne sent pas bon!

Par exemple, nous cherchons toujours à savoir pourquoi un projet d'informatique raté, baptisé «Vision» (contrat donné à une firme israélienne), est passé de 11M$ en 2003 à 62M$ en 2009, selon nos informations. Malgré nos 50 demandes d'accès à l'information pour connaître les tenants et aboutissants de ce projet, nous n'avons toujours rien reçu.

Dans cette perspective, les tactiques des derniers jours (et celles qui s'en viennent, car, visiblement, Radio-Canada a orchestré toute une campagne) piquent encore plus notre curiosité.


Note
Ce texte a été publié dans Le Journal de Montréal et est reproduit ici avec l'autorisation de son auteur.
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