Jacinthe Maurice. Source: LinkedIn
Jacinthe Maurice. Source: LinkedIn
Jacinthe Maurice est inscrite à l’École du Barreau et travaille en parallèle, jusqu’à la fin mars 2023, au DPCP à Rivière-du-Loup.

Pour elle, le niveau d’anxiété créé par « les mois intensifs » au sein de l’École du Barreau ne peut plus se définir comme « un passage obligé », surtout en 2023 où les enjeux de santé mentale sont particulièrement abordés dans la société.

Dans une publication sur LinkedIn, postée à la mi-mars, l’étudiante se demande, en clair, si nous ne sommes pas en train d’hypothéquer la jeune génération d’avocats. « Quels sont les moyens concrets que met en place l’École du Barreau ? », questionne-t-elle.

Si elle sait qu’entre autres, un numéro de téléphone est mis à disposition des étudiants et stagiaires vivant des périodes mettant en péril leur équilibre psychologique, pour elle, cela n’est pas suffisant.

« Les solutions doivent être des moyens qui supportent les étudiants à l’intérieur de leur formation et qui les suivent jusqu’à leur assermentation », croit-elle.

Elle propose qu’un programme obligatoire de tutorat entre les jeunes avocats assermentés depuis peu et les étudiants en voie d’assermentation soit mis en place.

« Période horrible »

D’après l’étudiante, qui s’est confiée à Droit-Inc, certains étudiants qui entrent dans la formation à l’École du Barreau développent en effet dès les premiers mois de leur cursus des symptômes de détresse psychologique.

C’est en tout cas ce qu’elle constate chez ses pairs. « Les étudiants sont fatigués, stressés, irritables... Pour ma part, je vais aux cours obligatoires et je sens que l’atmosphère est tendue. Ce n’est pas un cursus où tu t'enthousiasmes de rentrer dans la profession d’avocat ».

De nombreuses personnes ayant passé leur Barreau dans les dernières années lui ont par ailleurs décrit « une période horrible », assure-t-elle.

Elle estime qu’au baccalauréat, « on apprend déjà à vivre un certain stress par rapport à la performance », mais que quand on entre au Barreau, un nouveau stress s’ajoute, s’attachant à la réussite si on veut accéder à la profession d’avocat.

« D’un côté, je vois mes collègues au Barreau entrer dans une phase d’anxiété extrêmement élevée, et de l’autre, certains de mes amis assermentés me disent qu’ils ne sont pas heureux dans la profession après un an de pratique, qu’ils sont débordés, stressés, et n’arrivent à voir où ils s’amusent ».

Une réalité qui la rend « extrêmement inquiète ». Elle ajoute que ce constat s’inscrit dans un contexte où de nombreux avocats déjà installés dans la profession seraient pour leur part épuisés.

« On est censé protéger un certain bien commun de la société, mais on n’arrive pas à dénoncer le fait qu’on est nous-mêmes dans une situation très difficile. Le bien-être qu’on recherche pour les autres, on n’est pas capable de l’avoir pour nous-mêmes ».

Programme de tutorat

L’étudiante, qui avait déjà fait l’École du Barreau en 2022 et avait essuyé un échec, se sentait alors perdue. « On n’a pas l’impression d’être accompagné, il n’y a pas d’assistance ».

Cette année, elle a décidé que les choses se passeraient différemment. Elle a pris contact avec une personne qui a effectué son Barreau l’an dernier, qu’elle a rencontrée plusieurs fois pour des conseils. Mais il s’agit d’une démarche purement personnelle.

Pour elle, cela diminue le stress. « Quelque chose d’inconnu ou de déjà vécu négativement est vu un peu plus positivement, avec des outils ».

Aussi, le programme de tutorat obligatoire qu’elle suggère permettrait à l’étudiant d’échanger avec une personne qui vient de vivre sa formation et qui peut l’aider concrètement.

Cela aurait pour effet d’anticiper, avec les bons outils, les évaluations spécifiques au Barreau.

Elle estime aussi que cela contribuerait à diminuer certains préjugés comme « la nécessité de réussir du premier coup ou la fausse croyance selon laquelle ceux qui présentent des enjeux de santé mentale ne sont pas faits pour la profession d’avocat ».

Si Jacinthe Maurice remarque que les étudiants s’entraident entre eux pour faire face au stress, elle croit aussi que parfois, le cercle peut être vicieux. Le fait d’échanger sur tel ou tel examen imminent peut les rendre encore plus anxieux.

Difficile de critiquer

L’étudiante au Barreau dit envisager la profession d’avocat comme étant réellement difficile, avec une forte teneur en anxiété. Mais étant complètement passionnée par ce domaine, elle ne compte pas pour autant changer de voie.

Elle voudrait surtout faire bouger les lignes. Elle l’exprime en remarquant qu’autour d’elle, certaines personnes se cachent.

Il ne faut pas oublier que l’École du Barreau, qui proposera un nouveau programme dès l’automne 2023, est l’institution permettant de devenir avocat... Aussi, selon Jacinthe Maurice, « les gens ont peur de critiquer, ils ne veulent pas être étiquetés ».

L’enjeu est pourtant important, d’après l’étudiante, qui croit que préserver la santé mentale des avocats et des futurs avocats, c’est s’assurer qu’ils pourront faire leur travail le mieux possible.

Elle précise quand même que l’Association des Jeunes Juristes de Québec, par exemple, a récemment organisé une rencontre en proposant aux étudiants du Barreau de venir parler de leurs difficultés.

Des jeunes plus touchés ?

Pour étayer ses propos, Jacinthe Maurice dit avoir été interpellée par un balado de l’Association du Barreau Canadien, Juriste branché, animé par Me Julia Tétrault-Provencher.

Dans son épisode de décembre 2022, celui-ci aborde la santé psychologique des professionnels du droit en se basant sur un Rapport de recherche conjoint réalisé en partenariat avec l’Université de Sherbrooke, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, et l’Association du Barreau Canadien.

Dans cet épisode, Fabien Fourmanoit, de l’Association du Barreau Canadien, remarque que le pourcentage de personnes qui sont dans la profession d’avocat depuis peu de temps et qui déclarent avoir des problèmes sérieux voire sévères sur le plan psychologique est plus important que chez les avocats plus âgés.

« Est-ce que c’est parce que les jeunes qui ont grandi dans les années 1990/début des années 2000, sont habitués à réclamer des choses et à ne pas tolérer certaines situations ? Ou parce que les vétérans de la profession ont été exposés à cela toute leur vie et se disent qu’ils n’ont pas besoin d’aide ? Sont-ils habitués à un certain niveau de mal-être ? », dit-il.

Quoi qu’il en soit, il ne fait nul doute pour lui, à la lecture du rapport, « qu’on est à un point où ne rien faire n’est pas une option ».