Carrière et Formation

Deux sœurs pour allier droit et justice sociale

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Animées par la justice sociale, deux sœurs ont fondé une entreprise qui utilise le droit comme moteur de changement pour protéger les plus vulnérables. Rencontre.


Sarah Dennene et Nelly Dennene - source : LinkedIn


En 2022, Me Sarah Dennene et sa sœur Nelly ont fondé La Maison Turquoise, une entreprise qui met le droit au service de la transformation sociale grâce à une approche féministe et intersectionnelle.

La première est formée en droit, la deuxième en sciences politiques, et toutes deux partagent un même engagement pour le milieu communautaire.

Pour leur implication sociale, elles ont été récompensées par le Prix de la Relève 2025, décerné par le Conseil des diplômés de la Faculté de science politique et de droit de l’UQAM.

Car la Maison Turquoise, c’est avant tout une histoire de famille. « Beaucoup pensent que le nom vient de la couleur, mais en réalité, il vient de notre grand-mère, Turquia, que tout le monde appelait la Turquoise. C’était une femme d’une grande force, une défenseuse des droits des femmes avant même qu’on emploie ces mots », nous confie Nelly.

En plaçant les droits de la personne au cœur de leur démarche, elles offrent des services juridiques accessibles aux populations vulnérables, des conseils stratégiques aux organisations communautaires, ainsi que des formations transformatrices.

Au fil du temps, les deux sœurs ont compris que ce qu’elles partageaient lors de leurs discussions familiales pouvait être utile à d’autres. C’est ainsi qu’est née La Maison Turquoise : réunir leurs deux expertises, droit et sciences sociales, dans une approche véritablement interdisciplinaire.

« Aujourd’hui, le droit seul ne suffit plus. Il devient vraiment puissant lorsqu’il est enrichi par une compréhension sociologique et politique des réalités qu’il touche », assure Me Sarah Dennene.

Pour aller un peu plus dans le concret, qu’est-ce que la Maison Turquoise, exactement?

Nelly Dennene : Concrètement, la Maison Turquoise repose sur deux grands axes : Un axe d’accompagnement aux organisations, dont je suis principalement responsable, qui porte sur le renforcement des capacités, la recherche et le plaidoyer social.

Et un axe juridique, dirigé par Sarah, à travers la Maison Turquoise Avocates, qui offre des services juridiques centrés sur les droits fondamentaux et les personnes marginalisées. Nos expertises se complètent en permanence : Sarah m’appuie sur les questions de droit de la personne, et moi je l’appuie dans tout ce qui relève de l’analyse socio-politique.

C’est ce dialogue constant entre nos deux disciplines qui fait la richesse du projet.

Me Sarah Dennene : Pour donner un exemple concret, lorsqu’on accompagne une organisation dans le renforcement de ses capacités ou dans une démarche de plaidoyer, on ne donne pas simplement un avis juridique.

On cherche à rendre le droit accessible, à en faire un outil d’émancipation. De la même manière, dans la pratique du cabinet, on ne fonctionne pas sur un modèle de volume : on choisit nos dossiers, avec un focus sur les personnes marginalisées.

Par exemple, on a récemment accompagné une femme sans statut migratoire confrontée à une séparation. Au-delà de la question du statut légal, il y avait toute une dimension de violence et de contrôle coercitif à faire reconnaître.

Grâce à une approche interdisciplinaire, en mobilisant à la fois l’analyse sociologique et les arguments juridiques, on a pu obtenir une reconnaissance de sa situation et régulariser son statut. C’est exactement ça, la Maison Turquoise : faire dialoguer le droit et les sciences sociales pour défendre les droits fondamentaux de manière plus juste, plus complète, et plus humaine.

Et concrètement, comment ça fonctionne?

Nelly Dennene : Ce sont les associations qui viennent spontanément vers nous. Et c’est là qu’on se rend compte qu’on répond vraiment à un besoin existant.

Les organisations nous contactent après avoir entendu parler de nous, souvent par d’autres associations avec qui on a collaboré. Bien sûr, il arrive aussi que des individus nous approchent directement.

C’est pour ça aussi qu’on choisit nos dossiers avec soin : on ne veut pas être dans une pratique à volume. Pour l’instant, on est seulement toutes les deux, et c’est un choix délibéré. On n’a pas voulu bâtir quelque chose de grand ou de très institutionnel tout de suite.

Le mot maison dans Maison Turquoise est d’ailleurs important. Il traduit cette idée de proximité, de chaleur et d’accueil. Quand on rencontre une personne ou une organisation, on veut recréer cette ambiance des soupers de famille dont on parlait plus tôt : un espace où on prend le temps d’écouter, de comprendre les histoires, de connaître les parcours.

Comment votre approche féministe et intersectionnelle se traduit-elle dans vos projets? Parfois, ces termes restent un peu abstraits, alors comment se matérialisent-ils pour les personnes vulnérables que vous accompagnez?

Me Sarah Dennene : En matière d’intersectionnalité, nous proposons notamment des formations très appliquées, qui vont au-delà du simple discours. L’idée n’est pas seulement d’utiliser des mots ou des concepts, mais de les mettre en pratique dans le quotidien des organisations.

Par exemple, nous avons récemment travaillé avec des consœurs en Haïti sur des questions liées à la dépénalisation du droit à l’avortement. Accompagner cette organisation a permis de traduire concrètement l’intersectionnalité dans leurs pratiques et leurs décisions.

On a également eu des dossiers devant la section de protection des réfugiés et la section d’appel des réfugiés, impliquant des personnes à la croisée de plusieurs facteurs de persécution : leur genre, leur situation familiale, leur origine, etc.

Même si les tribunaux disposent de lignes directrices sur l’intersectionnalité, nous avons appliqué une analyse spécifique à chaque situation, en expliquant comment chaque facteur s’entrelace et impacte la vulnérabilité de la personne. Le même principe s’applique aux cas de violence contre les femmes : on prend en compte tous les facteurs de vulnérabilité, pas seulement un aspect isolé.

Ce qui est intéressant, c’est que, sans cette dimension sociologique et interdisciplinaire, un avocat pourrait passer à côté de la complexité réelle des situations. Cette approche interdisciplinaire permet aux juristes d’avoir un engagement social concret, et de transformer leurs compétences en actions réellement impactantes pour les personnes vulnérables.

Justement, comment, en tant qu’avocate ou avocat, applique-t-on concrètement une approche intersectionnelle dans sa pratique?

Me Sarah Dennene : C’est un vrai travail d’équipe et de collaboration interdisciplinaire. L’avocat est expert du droit, mais le client est expert de son vécu. Mon rôle, c’est de traduire ce vécu dans un cadre juridique afin qu’il soit pleinement pris en compte dans une procédure ou un dossier.

Prenons l’exemple d’une femme sans statut migratoire confrontée à la violence : on ne peut pas se contenter de dire qu’elle est victime de violence. Sa situation comporte souvent d’autres formes de vulnérabilité, comme l’insécurité de son statut, qui complexifient sa situation. Pour bien défendre ses droits, il faut intégrer ces dimensions, et c’est là qu’intervient l’analyse politique et sociologique.

Au-delà des compétences techniques, cela demande aussi une ouverture d’esprit et une remise en question de certaines pratiques traditionnelles du droit. Travailler avec des populations marginalisées, qui ont peu d’accès à la justice, oblige à adapter notre manière d’accueillir et d’accompagner les personnes, et à faire évoluer notre pratique pour qu’elle soit réellement intersectionnelle.

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