Un avocat au cœur de l'industrie du divertissement

Sonia Semere
2025-05-16 15:00:08

Dean Chenoy, associé chez Miller Thomson et co-responsable national du groupe Divertissement et médias, a su conjuguer ses deux passions : le droit et le cinéma.
Il conseille des clients aussi variés que des studios hollywoodiens, des producteurs indépendants, des musiciens, des influenceurs ou encore des plateformes numériques.
Comment gère-t-il au quotidien cette diversité de clients ? Quelle est l’importance de son rôle dans le secteur ? Quels défis juridiques spécifiques touchent actuellement le Québec ? Droit-inc a exploré le quotidien de ce passionné du droit et du divertissement.
À quoi ressemble concrètement votre groupe de pratique? Pourriez-vous me décrire brièvement son fonctionnement?
Nous œuvrons dans le domaine du divertissement au sens large : cinéma, télévision, musique, jeux vidéo, réalité virtuelle… mais aussi tout ce qui touche à l’univers numérique, comme les influenceurs sur TikTok ou Instagram.
Je dirige ce groupe de pratique pour l’ensemble du Canada, ce qui inclut des équipes dans plusieurs provinces, Colombie-Britannique, Alberta, Saskatchewan, Ontario et ici au Québec.
Notre travail est principalement axé sur les aspects transactionnels et commerciaux : négociation de contrats, structuration de projets, recherche de financement, partenariats, coproductions, placements, fusions et acquisitions. On représente surtout des entreprises, des producteurs, des studios, des plateformes mais aussi des artistes individuels comme des musiciens ou des influenceurs.
Quels sont les enjeux particuliers que votre groupe rencontre actuellement ? Y a-t-il des défis spécifiques cette année, en lien avec l’évolution du secteur?
Oui, l’un des plus grands enjeux en ce moment, c’est sans conteste l’intelligence artificielle. Elle transforme profondément le secteur du divertissement, et à une vitesse impressionnante. Les règles changent constamment, ce qui crée beaucoup d’incertitude juridique.
Cela touche autant les producteurs que les titulaires de droits sur des marques, des films, des séries télé ou même des jeux vidéo bien établis. On voit par exemple une recrudescence de deep fakes ou de contenus générés sans autorisation, ce qui soulève de sérieuses questions de droit à l’image, de droit d’auteur et d’éthique.
Du côté des créateurs, scénaristes, comédiens, musiciens, il y a aussi une inquiétude grandissante de voir leur travail partiellement ou totalement remplacé par des outils d’IA.
Il y a quelques jours, la présidente du Bureau américain des droits d’auteur a été congédiée par le gouvernement après avoir publié un rapport critique sur les risques que représente l’IA pour la propriété intellectuelle.
Cette décision a beaucoup choqué dans l’industrie, car elle semble indiquer une volonté politique de freiner ce débat crucial…
Y a-t-il des enjeux particuliers qui concernent spécifiquement le Québec en ce moment?
L’intelligence artificielle a un impact direct ici aussi, notamment sur les entreprises spécialisées en effets visuels et en animation. Il y a des inquiétudes réelles quant au remplacement partiel de leur travail par des outils automatisés.
Un autre point majeur, c’est la question des crédits d’impôt. L’an dernier, leur diminution a eu un effet important sur l’industrie locale. Plusieurs studios peinent à attirer de nouveaux projets, ce qui fragilise l’écosystème créatif à Québec. Il y a aussi des préoccupations autour de la protection du contenu culturel québécois et canadien face à la domination croissante des grandes plateformes américaines comme Netflix et Amazon. Cette tension entre production locale et distribution globale est très présente dans les discussions du secteur.
Et enfin, sur le plan international, les récentes annonces du président Trump concernant de nouveaux tarifs douaniers sur certaines productions étrangères pourraient également avoir un impact économique non négligeable pour les projets tournés ou financés depuis le Québec.
Vous travaillez avec des clients au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Quelles différences juridiques ou culturelles percevez-vous entre ces marchés?
Au Canada, on a une forte tradition de production indépendante, particulièrement au Québec. Ce qui nous distingue, c’est aussi notre capacité à établir des coproductions internationales, notamment avec l’Europe. Cette ouverture nous a permis de bâtir des partenariats solides et de créer des œuvres qui voyagent bien à l’international, plusieurs films québécois ont d’ailleurs connu un grand succès à l’étranger.
Aux États-Unis, on est évidemment en présence des grands géants de l’industrie, studios majeurs, plateformes de streaming, budgets colossaux. Cela dit, même là-bas, les producteurs indépendants font face à des défis similaires aux nôtres : ils doivent se battre pour préserver leur voix face à une industrie dominée par des contenus très commerciaux, souvent centrés sur les super-héros ou les franchises de jeux vidéo.
Comment vous êtes-vous orienté vers le droit du divertissement ? Qu’est-ce qui vous a donné le goût de travailler dans ce milieu?
Avant d’étudier en droit, j’ai d’abord complété un baccalauréat en cinéma et en communication. J’ai aussi travaillé dans le milieu culturel, notamment sur des plateaux de tournage et dans la production de spectacles, j’ai collaboré avec Juste pour rire, entre autres. J’ai participé à la création de films et de séries télévisées, ce qui m’a permis de vraiment plonger dans l’univers du divertissement.
C’est en discutant avec des producteurs, dont plusieurs avaient une formation juridique, que j’ai compris à quel point le droit était omniprésent dans ce domaine : contrats, droits d’auteur, négociations, copropriétés intellectuelles… On m’a conseillé de faire des études en droit, et je n’ai jamais regretté ce choix. C’est un domaine très spécialisé mais aussi incroyablement stimulant.
Est-ce qu’il y a un dossier ou un projet qui vous a particulièrement marqué au fil de votre carrière?
J’ai travaillé sur Incendies de Denis Villeneuve, et sur des films de David Cronenberg, un réalisateur de renommée mondiale. J’ai aussi collaboré sur des projets de Ari Aster — même si son film n’a pas été nommé aux Oscars, c’est un cinéaste extrêmement talentueux avec une vision très forte. Cette année, il présente son nouveau film à Cannes.
En tant que passionné de cinéma, c’est un privilège de contribuer, même en coulisses, à des œuvres aussi marquantes.