Accusés se défendant seuls en cour : Québec compte faire pression sur Ottawa

Radio Canada
2025-08-15 12:00:56

Québec compte faire pression sur Ottawa pour réformer le système de justice criminel, après la sortie publique d’un père endeuillé qui veut éviter que des accusés comme celui qui a tué sa fille puissent se défendre seuls en cour. Mais de tels changements s’annoncent difficiles, voire impossibles, selon des juristes. Le droit criminel et la procédure criminelle relèvent de la compétence du (...) fédéral.
Malgré cela, nous allons intervenir auprès de notre homologue fédéral pour le conscientiser à cette problématique et l’encourager à opérer des changements dans le système de justice criminel, a indiqué par courriel le cabinet du ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, en exprimant sa solidarité avec la famille de Romane Bonnier.
Son équipe a décliné notre demande d’entrevue pour éclaircir ses intentions.
Le mois dernier, François Pelletier a été reconnu coupable du meurtre prémédité de Romane Bonnier, écopant de la prison à vie sans libération possible avant 25 ans. Le meurtrier avait choisi de se défendre seul, utilisant sa tribune pour étayer des explications abracadabrantes et ésotériques dans de longs monologues décousus.
Ce procès a été une véritable torture pour les proches de Romane, soutient son père Guy Bonnier. La semaine dernière, il s’est adressé aux médias pour dénoncer le fait qu’il soit permis à un homme comme François Pelletier d’assurer sa propre défense.
Qu’en pense Ottawa? Il n’a pas été possible de s’entretenir avec le ministre de la Justice, Sean Fraser. Par écrit, son ministère précise qu’il ne peut commenter un cas particulier, mais rappelle que le droit pour un accusé de se représenter seul est protégé par la Constitution et confirmé par la jurisprudence.
Un système à rénover
Joint par Radio-Canada, le père de Romane s’est réjoui de la volonté de Québec de faire pression sur Ottawa.
Ce dernier appelle une fois de plus les décideurs à s’inspirer de la France, où les accusés de meurtre ne peuvent se représenter eux-mêmes. Un avocat leur est commis d’office par la cour. Sinon, on permet à des accusés de faire perdre un temps précieux à la cour, d’encombrer le système de justice et de gaspiller l’argent public, estime M. Bonnier.
Il souligne que le procès pour le meurtre de sa fille n’est pas un cas isolé, en évoquant notamment celui de Levana Ballouz (anciennement Mohamad Al Ballouz), coupable d’avoir tué sa conjointe et ses deux enfants, qui a aussi assuré sa propre défense.
Or, amorcer cette petite révolution dans le système judiciaire est loin d’être une mince affaire. Au Canada, être représenté par un avocat n’est pas une obligation. Et si la personne fait le choix de ne pas avoir d'avocat, c’est aussi un droit qui lui appartient, rappelle l’avocat-criminaliste Walid Hijazi.
Bien qu’il fasse partie de ceux qui croient qu’on ne devrait pas encourager un accusé à se défendre seul, le juriste voit mal comment la loi pourrait être modifiée afin d’imposer à un accusé, contre son gré, un avocat qu’il n’a pas choisi ou en qui il n’a pas confiance.
Un avis que partage Karine Millaire, professeure de droit à l’Université de Montréal.
« La Cour suprême n’a jamais clairement dit qu’il s’agissait d’un droit constitutionnel, sauf qu’il y a d’autres tribunaux qui l’ont reconnu », explique la spécialiste. « Et de façon assez claire, les tribunaux le voient comme un principe fondamental du droit criminel. Je verrais mal comment on pourrait s’en écarter dans notre système de justice ».
Un pouvoir dans les mains des juges
« Je pense qu'on mélange deux choses. Le fait que l'accusé se représente seul n’est pas un problème en soi. Ce qu'on a le plus comme problème, c'est l'équivalent de ce qu'on appelle des plaideurs quérulents, soit des gens qui abusent de leur droit de se défendre en soulevant n'importe quel moyen farfelu ou en plaidant des choses qui n'ont absolument aucun sens », relève pour sa part Simon Roy, professeur de droit pénal à l’Université de Sherbrooke.
Face à des accusés qui tentent de tourner leur procès en farce, la solution est très simple, reprend le juriste.
Les juges ont d’ailleurs le pouvoir de nommer un avocat pour assister l’accusé – appelé un ami de la cour — et, dans certains cas, d’en nommer un pour effectuer le contre-interrogatoire d’une victime ou d’un témoin à sa place.
Pendant le procès de François Pelletier, le magistrat l’a souvent rappelé à l’ordre pour qu’il se recentre sur les faits, en haussant le ton à de nombreuses reprises. Mais un juge qui coupe la parole à un accusé pendant sa défense ne s’expose-t-il pas à des motifs d’appel?
Oui, répond M. Roy, mais c’est aussi le devoir des cours d'appel d'être plus souples.