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Affaire Rozon: la juge commente le procès

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Radio Canada

2025-09-30 10:15:07

La juge du procès Rozon salue le dialogue entre les avocats et le courage des demanderesses.

« Ce fut un procès long, exigeant et complexe », a dit la juge à la fin du procès Rozon.

Gilbert Rozon - source : Radio Canada - Ivanoh Demers

Gilbert Rozon, accusé d'agressions sexuelles par neuf femmes qui lui réclament près de 14 millions de dollars, a vu son procès civil se clore lundi sur les mots de la juge Chantal Tremblay, qui a rappelé que « la mission commune » des parties était « la recherche de la vérité ».

« Long, exigeant et complexe », ce procès aura été « exposé à l'attention du public et des médias », a affirmé la juge Tremblay dans un message qu'elle a tenu à livrer « au-delà du formalisme judiciaire, sur une note un peu plus personnelle ».

Le fondateur du Groupe Juste pour rire est poursuivi par neuf femmes pour près de 14 millions de dollars en dommages compensatoires et punitifs.

Lyne Charlebois, Annick Charette, Patricia Tulasne, Anne-Marie Charette, Sophie Moreau, Danie Frenette, Guylaine Courcelles, Marylena Sicari et Martine Roy allèguent qu'il leur a fait subir des agressions sexuelles sur une période couvrant trois décennies.

L'ex-magnat de l'humour rejette toutes les allégations qui pèsent contre lui. Il dit avoir eu des relations sexuelles consentantes avec trois des demanderesses et nie toute forme de relation, consentante ou non, avec les autres.

Sophie Moreau - source : Radio Canada / La Presse canadienne / Christopher Katsarov

Sept autres femmes se sont exprimées dans ce procès à titre de témoins de faits similaires, dont Julie Snyder et Pénélope McQuade.

De son côté, Gilbert Rozon poursuit en diffamation Julie Snyder et Pénélope McQuade.

Il a aussi formulé des demandes reconventionnelles contre quatre demanderesses : Martine Roy, Danie Frenette, Patricia Tulasne et Lyne Charlebois. Il allègue que, par le truchement de leurs procédures judiciaires, elles l'ont diffamé en le qualifiant de prédateur sexuel.

Dans son mot de la fin, lundi, la magistrate a salué le fait que les avocats sont parvenus « à maintenir le dialogue » entre eux, « même dans les moments les plus tendus ».

Outre les avocats du défendeur et ceux des demanderesses, la Cour supérieure a entendu le procureur général, qui a défendu deux dispositions du Code civil dont le défendeur contestait la constitutionnalité, affirmant qu'ils compromettaient son droit à une défense pleine et entière.

Au sujet des parties, la juge Tremblay a reconnu que ces dernières « avaient traversé des épreuves personnelles et médiatiques importantes » durant les quelque 10 mois qu'a duré le procès.

« Vous avez accepté que vos vies privées soient exposées et débattues publiquement. Cela demande du courage », a dit la juge de la Cour supérieure du Québec

Un jugement dans les six mois à venir
Gilbert Rozon / Guylaine Courcelles - source : Radio-Canada / Ivanoh Demers


En matière civile, le fardeau de la preuve est moins exigeant à satisfaire qu'au criminel parce qu'on n'a pas besoin de convaincre le juge hors de tout doute raisonnable.

Dans son jugement attendu d'ici six mois, la juge Tremblay devra déterminer lequel, du défendeur ou des demanderesses, a présenté les preuves les plus convaincantes, en vertu du principe de prépondérance de la preuve.

En ce qui a trait aux dommages, un lien de causalité doit être établi entre les agressions sexuelles présumées et les préjudices que les plaignantes affirment avoir subis.

Parmi les diverses questions de droit qu'il lui faudra considérer, certaines sont nouvelles, a déclaré la juge.

« Ce sont de nouveaux points de droit à décider », a indiqué Chantal Tremblay.

Une décision qui fera jurisprudence

La semaine dernière, l'avocat des demanderesses, Me Bruce Johnston, avait fait valoir à la juge que sa décision allait « être lue » et faire jurisprudence.

Mélanie Morin et Pascal Pelletier - source : Radio Canada / Ivanoh Demers

Selon Me Johnston, les dommages consentis aux plaignantes dans les procès pour agressions sexuelles sont largement en deçà de ceux accordés aux victimes de diffamation, entre autres exemples.

« C'est une insulte pour les femmes — car ce sont presque toujours des femmes— qui ont subi des agressions sexuelles », a-t-il plaidé.

Les avocats de Gilbert Rozon, Me Mélanie Morin et Me Pascal Alexandre Pelletier, ont pour leur part déclaré à la fin du procès, lundi, que la décision à venir « allait faire avancer le droit au Québec ». Leur client, ont-ils ajouté, « est très satisfait du déroulement du procès ».

Les plaignantes « heureuses » que ce soit terminé

Patricia Tulasne s'est pour sa part adressée aux journalistes lundi pour affirmer que les demanderesses étaient « très émues, heureuses que ce soit terminé ».

Le procès, a-t-elle dit, s'est avéré difficile en ce sens qu'il a étalé leur vie respective au grand jour et leur a imposé d'entendre « les mensonges de la partie adverse ».

Patricia Tulasne - source : Radio Canada

« Ça fait huit ans qu'on est là-dedans », a rappelé Mme Tulasne, en référence à ce jour d'octobre 2017 où il avait été révélé que Gilbert Rozon était visé par des allégations d'agression et d'inconduite sexuelle.

Le procureur général critique Gilbert Rozon

Plus tôt dans la journée, le procureur général, représenté par Me Michel Déom, avait critiqué le peu, voire l'absence, de démarches faites par le défendeur pour présenter des éléments de preuve au tribunal, que ce soit des photos d'une résidence qu'il a occupée, des dossiers médicaux ou encore des documents comptables et des reçus reliés à l'entreprise qui était la sienne, Juste pour rire.

Me Déom a ajouté que Gilbert Rozon n'a pas fait, non plus, de démarches auprès de ses proches, ou encore de l'archiviste de Juste pour rire qui avait pour mission de documenter les faits marquants de l'entreprise au Québec et en Europe. « Rien du tout », a dénoncé le procureur général.

Ce dernier a aussi cité l'Hôtel du Parc où se serait déroulée l'une des agressions reprochées à Gilbert Rozon : quelles sont les démarches faites par le défendeur auprès de l'établissement lui-même ou auprès de la Ville de Montréal pour montrer quelle était la configuration des lieux au moment des faits reprochés?

Quant aux anciens employés de Juste pour rire, certains se rencontrent encore « régulièrement », selon le témoignage qu'a fait l'une des sœurs du défendeur devant la cour.

« Or, quelles sont les démarches qu'a faites M. Rozon pour sécuriser des éléments de preuve qu'auraient pu amener ces différents ex-employés? Et on peut peut-être présumer que, parmi ces ex-employés, certains ont été là très très longtemps », a affirmé Michel Déom.

L'objectif fondamental d'accès à la justice

Gilbert Rozon conteste deux articles du Code civil :

- celui ayant aboli le délai de prescription en matière d'agression sexuelle (article 2956.1),

- celui qui prévoit que les faits relevant de mythes, de stéréotypes et de préjugés sont présumés comme étant non pertinents (article 2858.1).

En vertu de la loi adoptée par Québec en 2020, les victimes d'agressions sexuelles peuvent réclamer justice, et ce, même si les actes reprochés remontent à plus de 30 ans.

Lundi, le procureur général a déclaré : « Le droit à la prescription n'était pas un droit constitutionnel. Le législateur est libre de fixer des délais de prescription. »

Le principal objectif poursuivi par l'abolition du délai de prescription est le suivant, a expliqué le procureur général : « Les agresseurs sexuels ne devraient pas bénéficier du temps qui s'écoule [...] ni des conséquences délétères des gestes qu'ils ont posés envers leur victime. »

Il a été reconnu que « les victimes d'agression sexuelle étaient régulièrement dans l'incapacité même de faire le lien entre leur agression et les conséquences de leur agression », a rappelé Me Déom.

« Il n'y a pas de droits constitutionnels qui peuvent être mis de l'avant par les agresseurs » dans la sphère du droit civil, a-t-il déclaré.

« L'objectif d'intérêt public important [de l'abolition du délai de prescription] c'est de permettre aux victimes d'accéder à la justice, ce qui est un intérêt public fondamental », assure Michel Déom.

Mythes et stéréotypes

Au sujet de l'article qui touche aux mythes et aux stéréotypes, les avocats de Gilbert Rozon ont argumenté qu'il avait « une portée excessive ».

Cet article à la portée très large, a dit Me Déom, « vise à garantir aux victimes une forme de protection aux atteintes à la vie privée et à leur droit à l’égalité ».

Et en vertu de cet article-là, « il faut qu'une partie convainque le tribunal que la preuve qu'elle entend faire est pertinente », a-t-il expliqué. « C'est tout. »

De l'avis du procureur général, « c'est un tissu d’hypothèses » qu'ont présenté les avocats de Gilbert Rozon, Me Mélanie Morin et Me Pascal A. Pelletier.

Un procès fertile en tensions

Ce procès qui avait débuté le 9 décembre dernier a été fertile en tensions, le fondateur de Juste pour rire ayant même porté plainte contre le conjoint de l'une des demanderesses à la suite d'une présumée altercation.

Le défendeur a dit se défendre en justice pour empêcher une forme de légalisation de l'extorsion, car il accuse les plaignantes de lui avoir intenté un procès par désir de vengeance et « pour l’argent ».

Enfin, lors d'impromptus de presse dans le couloir du palais de justice de Montréal, Gilbert Rozon a reproché maintes fois aux journalistes le traitement médiatique injuste dont il estime faire l'objet. Selon lui, la juge au procès fait l'objet de pression médiatique.

Dans son mot de la fin, lundi, la juge Tremblay a écarté cette prétention : « Je tiens à réitérer que, peu importe les idées et les opinions publiques qui ont pu être véhiculées, j'entends fonder mes propres conclusions. Les faits seront fondés uniquement sur ce qui a été présenté en salle de cour. »

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