Intérêt de la justice ou considérations politiques?

Louis Lapointe
2015-09-01 14:15:00

Ayant moi-même eu à subir les pressions de la haute direction du Barreau du Québec pour que l’École admette le fils d’un sous-ministre à l’encontre des règles en vigueur à l’École du Barreau, je sais comment ça se passe quand on tient tête à un haut dirigeant jusqu’à gagner une bataille quasi judiciaire interne.
J’ai eu gain de cause même si je n’ai pas fait ce qu’on attendait de moi. Le fils du sous-ministre a dû attendre un an pour être admis à l’École du Barreau comme tous les autres candidats dans la même situation. Tous les comités qui ont entendu l’affaire ont rejeté sa demande d’admission tardive.
Mais j’ai payé très cher cet excès de zèle contre « un ami du Barreau ».
Si j’avais répondu favorablement à toutes les demandes de la haute direction du Barreau, surtout lorsque j’estimais qu’elles n’étaient pas appropriées, je serais peut-être aujourd’hui le directeur général du Barreau du Québec à la place de Lise Tremblay, une avocate que j’ai engagée comme directrice du centre de Montréal en 1999.
Commencer par le début
Donc, quand j’analyse l’affaire Khuong, je commence par le début, pas par la fin comme l’ont fait tous les analystes qui ont contribué à faire de cette histoire ce qu’elle est devenue.
Objectivement, même si elle aurait dû le faire pour des raisons éthiques, Me Khuong n’avait pas à divulguer cette affaire, c’était le devoir du procureur général de le faire s’il estimait que des accusations devaient être portées contre elle.
Dans l’intérêt de la justice, jamais ce dossier n’aurait dû être déjudiciarisé compte tenu du parcours professionnel de Me Khuong.
Pourquoi le dossier du présumé vol à l’étalage de Me Khuong a été déjudiciarisé alors que l’intérêt de la justice commandait qu’il soit connu du public puisqu’il concernait une personne qui briguait d’importantes fonctions au sein du système judiciaire, celle de vice-présidente du Barreau du Québec ?
Si j’avais été le substitut du procureur général responsable de ce dossier, j’aurais exclu d’emblée toute déjudiciarisation pour ne pas qu’on m’accuse d’étouffer une affaire qui était d’intérêt public.
Dans l’intérêt de la justice, j’aurais soit porté des accusations, soit mis fin à l’affaire uniquement sur la base de considérations professionnelles.
Qui a décidé et pourquoi?
Les questions que devrait donc se poser tout bon journaliste sont, qui a pris la décision de déjudiciariser ce dossier ? Pourquoi ? À la demande de qui et dans quel intérêt ? Est-ce le procureur responsable du dossier ou un supérieur dans la hiérarchie de la Direction des poursuites criminelles et pénales ?
À mon avis le DPCP a manqué de professionnalisme en déjudiciarisant ce dossier alors qu’il était dans l’intérêt de la justice qu’il soit traité suivant la procédure normale et que des accusations soient portées uniquement si la preuve le justifiait.
Dans le cas contraire, nous n’aurions jamais dû entendre parler de cette affaire s’il n’y avait pas matière à poursuites, puisque, a posteriori, la déjudiciarisation n’était manifestement pas une option valable compte tenu de la saga qu’elle a générée.
Cette histoire a dégénéré parce que le DPCP a erré dans ce dossier.
Elle a nui à la Justice ainsi qu’à son image.
Elle nous a toutefois révélé le vrai visage du Barreau du Québec, de ses administrateurs et de ses officiers, ce qui est certainement d’intérêt public.