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L’aide juridique presque sept fois moins bien payée au Québec qu’en Ontario

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Radio Canada

2025-06-11 11:15:19

Des avocats privés payés à l'acte par le Québec disent gagner moins que le salaire minimum dans certains dossiers liés à l’immigration humanitaire.

Des honoraires insuffisants dissuadent les avocats québécois de prendre des mandats d’aide juridique en matière d’immigration, jugent l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI) et le Barreau du Québec. Cela empêche des personnes vulnérables de se trouver un avocat, considèrent-ils.

Au Québec, les avocats privés qui acceptent des mandats d’aide juridique sont payés à l'acte. Dans la province voisine, ils sont payés un taux horaire et peuvent facturer un maximum d’heures par acte.

Les avocats ontariens peuvent recevoir une rémunération supérieure à leurs confrères et consœurs québécois pour le même type de dossier.

Pierre-Luc Bouchard - source : Radio-Canada / Marika Wheeler

« C'est démoralisant! Quand on se compare, nous, on ne se console pas! », soupire Me Pierre-Luc Bouchard, qui traite une cinquantaine de dossiers d’aide juridique par l’entremise de l’organisme à but non lucratif le Centre de réfugiés, à Montréal.

À titre d’exemple, Me Bouchard estime devoir travailler « un vrai 40 heures de coaching avec le client ou la cliente » pour adéquatement préparer un dossier de demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire, un acte pour lequel il sera payé 370 $.

Pour le même acte, un avocat pour Aide juridique Ontario peut facturer un maximum de 16 heures à un taux variant entre 126 $ et 158 $ l’heure selon l'expérience de l’avocat. L'avocat ontarien à l'échelon le plus élevé recevra alors près de sept fois l'honoraire de son homologue québécois. L'écart est parfois moins marqué pour d'autres actes.

« Ça, c’est triste parce qu’on a une grosse demande pour ce type de procédure », se désole Me Bouchard.

Un seul bureau au Québec

Le seul bureau d’aide juridique en immigration financé par l'État en dehors de Montréal a fermé en mars. Il ne reste depuis qu’une dizaine d’avocats payés par le Québec qui traitent ce type de dossier.

Certains avocats privés acceptent parfois de prendre des mandats d’aide juridique. Les démarches pour en trouver sont « un casse-tête (...) très chronophage » pour les organismes qui accompagnent les nouveaux arrivants, explique la directrice du Carrefour d’action interculturel, Laurie Arsenault-Paré.

Chantal Ianniciello - source : Radio-Canada / Olivier Plante

Une cinquantaine d’avocats au Québec acceptent de prendre des mandats d’aide juridique en immigration « mais plusieurs d’entre eux le font de manière ponctuelle seulement », affirme la vice-présidente de l’AQAADI, Me Chantal Ianniciello. En Ontario, on compte 450 avocats accrédités en dossiers d’immigration pour l’aide juridique.

Le traitement d’un dossier d’aide juridique peut s'étirer sur plusieurs années. Les lourdeurs administratives et le fait que certains frais ne sont rémunérés que lorsqu’une décision est rendue ne font rien pour encourager les avocats, explique Me Ianniciello.

Le Rapport annuel de gestion 2023-2024 de la Commission des services juridiques fait état de 5650 dossiers d’aide juridique en matière d’immigration ayant été traités au Québec. Pour la même période, Aide juridique Ontario en a traité près de 44 800.

Les plus vulnérables écopent

Le Barreau, l’AQAADI et des groupes communautaires sont d’avis que la faible rémunération pour des dossiers qui nécessitent des dizaines d’heures de travail fait en sorte que des personnes vulnérables se retrouvent dans des situations encore plus précaires.

« Si ces gens-là ne sont pas accompagnés par des avocats ou des professionnels compétents, ils risquent de perdre leurs droits et même de l'argent parce que, malheureusement, il y a de plus en plus charlatans qui font des fausses représentations à ces gens-là, qui leur disent "moi, je vais t'aider" », dit Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec

En plus d’avoir un faible revenu, les personnes immigrantes requérant l’aide juridique ont parfois vécu des traumatismes, souffrent de problèmes de santé mentale ou physique, parlent peu français, ou ont une fracture numérique rendant des rencontres à distance difficiles ou impossibles, expliquent plusieurs intervenants contactés par Radio-Canada.

« Ce sont les personnes qui sont les plus mal en point qui, probablement, vont avoir droit à moins de service parce que ça devient un dossier qui est très lourd pour l'avocat, et [ce sont] des dossiers qui ne sont pas payants », explique Me Ianniciello de l’AQAADI.

Selon elle, la formule actuelle fait en sorte que certains avocats « vont peut-être tourner les coins » pour « aller un petit peu plus rapidement » de manière que le travail n’est « pas fait à la hauteur de ce qu'on s'attendrait ».

Elle considère que le Québec pourrait s’inspirer du modèle de rémunération de l’Ontario pour inciter plus d'avocats en immigration à accepter des mandats.

Chronophage pour les organismes

Au Tremplin à Lévis, un organisme qui vient en aide aux personnes immigrantes, on réfère les cas les plus urgents ou sensibles à deux avocats qui acceptent des mandats pro bono.

Guillaume Boivin - source : Radio-Canada / Marika Wheeler

« Ça reste une solution généreuse, mais qui ne répond pas du tout à l’ensemble des besoins », explique le directeur général, Guillaume Boivin. Il constate une augmentation des besoins qu'il attribue aux moratoires et aux changements imposés par les gouvernements canadiens et québécois en matière d’immigration.

« C'est un des effets de tous ces changements législatifs là, c'est que là, les gens ont besoin de renouveler leur statut, ils sont ici, ils veulent continuer à travailler puis ils se retrouvent en fait devant l’inconnu, ils se retrouvent en détresse ».

Au Carrefour d’action interculturel, la différence est marquée depuis la fermeture du seul bureau d’aide juridique à Québec.

« Nous accompagnons beaucoup de personnes dont les dossiers sont rapidement jugés comme trop compliqués », explique Laurie Arsenault-Paré, la directrice.

Et ce n’est pas seulement lors des mandats d’aide juridique en immigration que la recherche est complexe. Valérie Hamel, une intervenante aux accompagnements, a récemment contacté 27 avocats en droit de la famille pour une clientèle hispanophone qui ne parle pas français.

« C'était pour la garde d'enfants puis la séparation, ce n'était pas (un cas) très complexe, mais une fois que je disais que madame parlait espagnol, on se faisait refuser », raconte-t-elle.

Laurie Arseneault-Paré considère que les coupes récentes dans le programme de régionalisation des demandeurs d’asile s’ajoutent aux difficultés vécues par cette clientèle et auront des « impacts très graves qui vont représenter des coûts énormes ».

« J'ai l'impression que c'est des coupures qui avaient été réfléchies uniquement sur le plan monétaire, puis qui n’ont pas été réfléchies sur le plan humain ».

Pour sa part, Guillaume Boivin insiste : « Aider une personne qui est en situation de vulnérabilité, que ce soit pour l'immigration ou pour un autre domaine, ça va toujours être plus payant pour l'État que de ne pas l'aider ».

Une nouvelle association pour négocier les honoraires

Une nouvelle loi adoptée en décembre écarte le Barreau du Québec et la Chambre des notaires des négociations des honoraires de l’aide juridique et impose la création d'une nouvelle association. Cette loi suit les recommandations d'un rapport indépendant produit en 2022.

Selon Me Claveau, des rencontres avec des syndicats en vue de la création de cette association ont eu lieu et « le travail a été fructueux, les consultations à travers tout le Québec ont été presque complétées ».

Pour sa part, Me Bouchard n’y voit que des délais qui « accentuent la souffrance » des personnes ayant besoin d’aide juridique. « Mon Dieu, c'est combien d'années encore qu’il faut attendre pour qu’on rattrape, par exemple, l'Ontario, si rattraper est l'objectif, ou à tout le moins aider ce monde-là? », se questionne-t-il.

Simon Jolin-Barrette - source : Radio Canada (La Presse canadienne / Jacques Boissinot)

Le cabinet du ministre Simon Jolin-Barrette affirme que son gouvernement a augmenté les tarifs des avocats de la pratique privée, qui prennent des mandats d'aide juridique en immigration, de plus de 50 % lors des cinq dernières années. Il qualifie le régime « d’un des plus généreux au Canada » en raison des critères d'admissibilité, les domaines du droit couvert et les services offerts.

Il indique que le fédéral doit assumer l’entièreté des dépenses admissibles liées aux services d’aide juridique aux personnes immigrantes et réfugiées.

Le Québec a d'ailleurs reçu 11,9 millions de dollars en 2023-2024 pour l’aide juridique aux immigrants et aux réfugiés. C’est deux fois le montant versé deux années plus tôt, soit 5,9 millions en 2021-2022.

Réactions des oppositions

Chacun des partis d'opposition a fourni une déclaration écrite. L’opposition officielle à l'Assemblée nationale considère qu’il « faut augmenter les honoraires ». « Cependant, le ministre ne peut se réfugier derrière cette loi pour retarder les négociations et éviter le rattrapage nécessaire face à l’Ontario », affirme André Morin, porte-parole pour le Parti libéral en matière de justice.

Alexandre Leduc, de Québec solidaire, considère qu’il « n'est pas normal que les avocats en aide juridique soient moins bien payés au Québec qu'en Ontario ». Il soutient que le service est essentiel et « on ne peut pas se permettre de voir partir les avocats parce que le gouvernement de la CAQ n'est pas capable de leur offrir des salaires compétitifs ».

Pascal Paradis du Parti québécois pointe plutôt le doigt sur « les politiques insensées du gouvernement fédéral en matière d’immigration et de gestion des frontières (qui) ont créé une forte pression sur les demandes d’aide juridique ». Il est d’avis que l'accès à l’aide juridique est « un défi » dans tous domaines. Et il souhaite donner le temps aux négociations pour établir de nouveaux honoraires.

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1 commentaire
  1. Anonyme
    Pourquoi?
    Est-ce que l'aide juridique devrait vraiment être offerte en matière de droit de l'immigration? Mieux vaut consacrer nos maigres ressources aux matière familiales et criminelles.

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