Le procès des hockeyeurs en résumé

Radio Canada
2025-06-09 12:00:02

Neuf jours de témoignage et sept de plus en contre-interrogatoire pour la présumée victime; deux jurys libérés; des ex-coéquipiers à la barre : le procès des cinq hockeyeurs de l'édition 2018 d'Équipe Canada junior tire à sa fin. Les cinq hommes sont accusés d’agression sexuelle. À tour de rôle, les avocats de la défense et la procureure livrent, dès lundi, leurs arguments finaux après six semaines de témoignages. La juge Maria Carroccia devra ensuite se pencher sur son verdict. Retour sur un procès plein de rebondissements.
Faux départ
Le premier procès des cinq accusés avait commencé le 22 avril. Mais la sélection du jury et les arguments d’ouverture à peine conclus, le procès a avorté. Le 23 avril, la juge a reçu une note d’une jurée dans laquelle elle indiquait avoir eu une interaction verbale avec l’avocate d’Alex Formenton, l’un des accusés, qui lui aurait dit qu’il y avait eu beaucoup de hochements de tête au sein du jury pendant les arguments d’ouverture.
L’avocate en question, Hilary Dudding, a nié cette version de l’interaction verbale, mais la défense a collectivement réclamé avec succès un avortement de procès, estimant que le jury était biaisé.
De premiers témoignages après la sélection d’un 2e jury
La sélection d’un deuxième jury a eu lieu le 25 avril. Comme ils l’avaient fait la première fois, les cinq accusés — Michael McLeod, Carter Hart, Cal Foote, Dillon Dubé et Alex Formenton — ont plaidé non coupables au chef d’accusation d’agression sexuelle qui pèse contre chacun d’entre eux. Michael McLeod fait face à une accusation supplémentaire de participation à l’infraction. Dans ses arguments d’ouverture qu’elle a repris au début de ce deuxième procès, la Couronne a souligné au nouveau jury qu’il s’agissait d’« une cause sur le consentement ». La plaignante E. M., dont l’identité est protégée par une ordonnance de non-publication, soutient avoir été violée par les hockeyeurs dans une chambre d’hôtel de London, dans la nuit du 18 au 19 juin 2018.
La toute première personne à livrer son témoignage a été la détective Tiffany Waque du Service de police de London, qui a participé à la deuxième enquête sur les allégations de la plaignante, en 2022.
La policière a décrit notamment une série d’éléments de preuve, dont des enregistrements des caméras de surveillance du bar où E. M. a rencontré les hockeyeurs ainsi qu’un message texte envoyé plus tard cette nuit-là par Michael McLeod à ses coéquipiers : Qui veut un plan à trois rapidement? 209-mikey. La chambre 209 était occupée par Michael McLeod et Alex Formenton pendant le séjour de l’équipe à London en juin 2018, afin de participer à des célébrations de la victoire au Championnat du monde cinq mois plus tôt.
Mme Waque a également décrit deux courtes vidéos enregistrées par Michael McLeod, captées dans sa chambre d’hôtel, où on voit la plaignante affirmer que tout était consensuel. Après la policière, deux premiers ex-coéquipiers des accusés ont été appelés à la barre, à savoir Taylor Raddysh et Boris Katchouk. Les deux ont confirmé qu’ils avaient passé un peu de temps dans la chambre de Michael McLeod après avoir reçu son message texte et qu’ils y avaient vu une fille avec qui ils n’ont toutefois pas interagi longtemps, car ils sont retournés dans leurs chambres respectives.
La plaignante à la barre pendant neuf jours
Le témoignage de la plaignante a commencé le 2 mai, en après-midi. Elle a indiqué avoir rencontré les hockeyeurs dans un bar où elle s’était rendue avec des amies. Un homme plus âgé qui accompagnait les joueurs, lui a vanté les mérites de Mikey (le surnom de Michael McLeod, NDLR), a expliqué la plaignante, qui dit avoir consommé beaucoup d’alcool – dont des boissons que lui achetaient les joueurs – et s’être sentie assez ivre cette nuit-là. Elle a aussi dit avoir subi beaucoup d’attouchements gênants de la part d’hommes avec qui elle dansait au bar.
Elle a aussi affirmé avoir accepté de rentrer à l’hôtel avec Michael McLeod parce que les deux avaient été "proches" toute la soirée. Après leur arrivée à l’hôtel, a-t-elle raconté, les deux ont eu une relation sexuelle consensuelle, après laquelle elle dit avoir vu M. McLeod envoyer des messages texte. Des hockeyeurs ont ensuite commencé à arriver dans la chambre, a indiqué E. M., et à lui réclamer des actes sexuels.
La plaignante a par la suite été contre-interrogée, pendant sept jours, par les avocats des cinq accusés. Ces derniers ont notamment remis en question son comportement de la nuit du viol collectif présumé, suggérant qu’E. M. aurait elle-même demandé M. McLeod d’inviter ses coéquipiers dans la chambre pour avoir une nuit folle. Les avocats ont aussi remis en question la crédibilité d’E. M. en soulevant ses « déclarations antérieures incohérentes » et en laissant entendre qu’elle « déformait » les propos tenus par les hockeyeurs dans la chambre d’hôtel pour en arriver à une version de nature possiblement criminelle.
Dans son témoignage, la plaignante a affirmé qu’elle avait tenté de quitter la chambre d’hôtel à plusieurs reprises, mais qu’à chaque fois, des hockeyeurs la consolaient et la ramenaient vers un drap qui était allongé par terre, où les actes de nature sexuelle reprenaient. La défense a toutefois suggéré que c’était E. M. qui « menaçait » de quitter la chambre si les hockeyeurs refusaient ses offres de relations sexuelles et que la plaignante mentait au sujet de son état d’ébriété cette nuit-là.
Le jury libéré et suite du procès devant juge seule
Un autre rebondissement majeur est survenu le 15 mai lorsque la juge Carroccia a libéré le deuxième jury et statué que le procès se poursuivrait devant juge seule. La veille, un membre du jury lui avait soumis la note suivante.
Plusieurs membres du jury ont l'impression d'être jugés et de faire l’objet de moqueries par les avocats (d’Alex Formenton, Daniel) Brown et Hilary Dudding. Chaque jour, lorsque nous entrons dans la salle d'audience, ils nous observent, chuchotent entre eux et se tournent l'un vers l'autre en riant comme s'ils discutaient de notre apparence. Ce n'est pas professionnel et c'est inacceptable. Devant cette apparence d’un jury biaisé, la Couronne et la défense ont accepté de poursuivre le procès devant juge seule. La Couronne voulait notamment éviter le scénario d’un deuxième avortement de procès qui aurait, selon la procureure Meaghan Cunningham, traumatisé la plaignante en l’obligeant de livrer son témoignage à nouveau.
La mémoire d'un témoin remise en question
Les ex-coéquipiers des accusés Tyler Steenbergen et Brett Howden ont été les suivants à être appelés à la barre des témoins par la Couronne. M. Howden a toutefois donné du fil à retordre à la procureure.
Dans son témoignage, Brett Howden, qui était membre de l’équipe canadienne de hockey junior en 2018 et qui était à London avec les accusés, a dit ne pas se souvenir de nombreux détails de la nuit du 18 au 19 juin 2018. Il avait, cette nuit-là, visité la chambre 209. La Couronne, non convaincue de sa sincérité, a même essayé de le contre-interroger et de faire admettre dans la preuve, sans succès, des messages texte que M. Howden avait envoyés à son coéquipier Taylor Raddysh et qui décrivaient des claques aux fesses que Dillon Dubé est accusé d’avoir données à la plaignante contre son gré. Taylor Raddysh, comme M. Steenbergen, ont indiqué dans leurs témoignages que c’est la plaignante qui sollicitait des actes sexuels des hockeyeurs présents dans la chambre.
Des interrogatoires présentés en cour
Le 27 mai, le détective à la retraite Steve Newton, qui a dirigé la première enquête du Service de police de London sur les allégations de la plaignante en 2018, a été le dernier témoin à être appelé à la barre par la Couronne. Pendant son témoignage, les enregistrements de ses interrogatoires de Michael McLeod, d’Alex Formenton et de Dillon Dubé menés en 2018 ont été présentés dans leur intégralité.
Le détective a admis qu’il n’avait jamais consulté les enregistrements des caméras de surveillance qu’il avait pourtant obtenus du bar où la plaignante a rencontré les hockeyeurs. Le Service de police de London a fermé cette première enquête en 2019, concluant qu’il n’avait pas assez de preuves pour déposer des accusations.
Un accusé à la barre
Carter Hart, appelé à la barre par son avocate, est le seul accusé à avoir livré son témoignage en cour. Comme plusieurs de ses anciens coéquipiers l’avaient indiqué avant lui, il a affirmé que la plaignante sollicitait des actes sexuels des hockeyeurs. M. Hart a d’ailleurs reconnu lui avoir demandé une fellation, qu’il a obtenue. Dans son contre-interrogatoire, la Couronne a laissé entendre que M. Hart avait « tenu pour acquis », dans un message texte, le consentement de la plaignante aux actes sexuels auxquels E. M. a pris part avec ses coéquipiers parce qu’il ne les avait pas observés de ses propres yeux.
Les quatre autres accusés ont choisi de ne pas témoigner, et ils n’y sont pas tenus. La défense a ensuite appelé, le 2 juin, son dernier témoin : la détective Lindsey Ryan. C’est elle qui a dirigé la deuxième enquête sur les allégations de la plaignante, en 2022, lorsque le Service de police de London a décidé de s’y pencher à nouveau. Des médias venaient de révéler que Hockey Canada avait conclu un règlement à l’amiable avec la plaignante, ce qui a causé un tollé dans le monde sportif et politique canadien. Le dossier avait même fait l’objet de débats dans des comités parlementaires à Ottawa.
Mme Ryan a indiqué qu’elle avait rencontré la plaignante, le 20 juillet 2022, pour lui avertir que son dossier serait examiné à nouveau par la police. Elle n’a toutefois pas interrogé la plaignante encore une fois, jugeant qu’un autre interrogatoire l’aurait traumatisée. C’est à l’issue de cette deuxième enquête que le Service de police de London a déposé, en janvier 2024, les accusations qui ont mené au procès.
Quelle suite?
Les arguments finaux qui commencent lundi sont une occasion pour chacune des parties de plaider, devant la juge, pour le résultat qu’elle souhaite. La juge Maria Carroccia devra ensuite se pencher sur son verdict. Contrairement à un jury, la juge doit fournir les raisons de sa décision finale, ce qui fait en sorte que le verdict pourrait se faire attendre.