Québec condamné à verser 164 millions $!

Radio Canada
2025-05-27 14:15:29

Un juge de la Cour supérieure du Québec a condamné le gouvernement provincial, représenté par Me Thi Hong Lien Trinh, Alexandre Duval, Gabrielle Robert et Massalo Hemou, à verser 164 millions de dollars dans le cadre d'un recours collectif intenté au nom de milliers de personnes détenues illégalement à la suite d'une arrestation. Le jugement s'applique à environ 24 000 personnes touchées par la décision de 2015 de cesser d'offrir des comparutions devant les tribunaux les dimanches et les jours fériés.
Le Code criminel du Canada exige que les personnes arrêtées comparaissent devant un juge dans les 24 heures. Or, la modification de 2015 a fait en sorte que les personnes arrêtées un samedi ou juste avant un jour férié étaient souvent détenues plus longtemps.
Nous ne voulons pas que la police décide qui peut être libéré et qui ne peut pas l'être, a déclaré Robert Kugler, avocat représentant les plaignants. Nous voulons qu'un tribunal indépendant et impartial prenne cette décision.
Dans sa décision, le juge Donald Bisson a conclu que le ministère de la Justice du Québec et le bureau du procureur de la Couronne savaient que leur système entraînait une violation systémique des droits fondamentaux des personnes détenues illégalement.
Ils ont quand même pris la décision de réduire les services pour des raisons budgétaires, a-t-il dit. On s'attendait à ce que des milliers de personnes soient touchées, et c'est exactement ce qui s'est produit, a-t-il expliqué. Malgré cela, rien n'a été fait pour corriger le système pendant quatre ans.
Chaque personne touchée aura désormais droit à une indemnisation de 7000 $. Me Kugler a indiqué que c'est l'un des jugements les plus importants rendus à la suite d'un recours collectif dans l'histoire du Québec. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, et le bureau du procureur de la Couronne n'ont pas immédiatement répondu aux demandes de commentaires.
Le demandeur principal dans cette affaire, représenté par Me Sophie-Anne Décarie ainsi que Mes Robert Kugler, Alexandre Brosseau-Wery, Éva M Richard, Danica Garner et Jean-François Benoît en tant qu’avocats-conseils, a été arrêté le 23 juin 2015 à Gatineau. Le lendemain était la fête nationale du Québec, un jour férié; il n'a donc comparu devant le tribunal que le 25 juin.
Après une comparution de moins de trois minutes, l'homme a été libéré sous conditions, selon le jugement. Lors de son témoignage au procès, qui s'est déroulé en janvier et en février, l'homme a parlé d'une anxiété croissante au cours de ses 38 heures passées dans une cellule du poste de police de Gatineau.
Il a raconté que les lumières étaient allumées en permanence et qu'il avait du mal à dormir. La police a ignoré ses demandes et les heures de détention lui ont semblé interminables, a-t-il ajouté. Une autre femme ayant témoigné au procès a déclaré avoir eu ses règles pendant sa détention et n'avoir reçu ni serviettes hygiéniques ni tampons.
Elle a ajouté que les policiers lui avaient plutôt conseillé d'utiliser du papier hygiénique. Me Kugler a expliqué que les cellules de détention des postes de police ne sont pas adaptées à une détention prolongée. Les lumières sont allumées en tout temps. Il est impossible de prendre une douche. Il n'y a aucune intimité, a-t-il dit.
Un « mal de tête » majeur aux procureurs
Selon le jugement, la Cour du Québec a décidé en 2013 de réduire le nombre de juges les soirs de fin de semaine, ce qui a causé un mal de tête majeur aux procureurs qui devaient faire des heures supplémentaires pendant la journée. En juin 2015, le bureau du procureur de la Couronne a décidé de remédier à la pénurie de personnel en éliminant les comparutions devant les tribunaux les dimanches et les jours fériés. Lors du procès, une fonctionnaire a admis savoir que cela signifierait que certaines personnes ne comparaîtraient pas devant un juge dans les 24 heures suivant leur arrestation.
Le recours collectif a été intenté en 2018. Le gouvernement a commencé à corriger le problème l'année suivante, et il a été entièrement résolu en mars 2020. Me Kugler a expliqué que le gouvernement du Québec avait été condamné à verser une somme forfaitaire de 164 millions de dollars, plus les intérêts, ce qui, selon lui, pourrait totaliser 240 millions.
Il a ajouté qu'un mécanisme sera probablement mis en place pour identifier les personnes concernées grâce aux dossiers judiciaires et aux rapports de police, afin qu'elles n'aient pas à prendre de mesures concrètes pour recevoir l'argent. Le recours collectif visait également les villes de Montréal et de Québec, qui sont responsables des tribunaux municipaux. Les deux villes ont déjà conclu des ententes à l'amiable dans cette affaire.
Me Kugler a qualifié ce jugement d'historique, tant par l'ampleur du dédommagement que par son impact sur le respect de l'État de droit. Nous devons garantir la présomption d'innocence de tous, a-t-il déclaré. Une personne ne devrait pas être punie en restant en cellule de détention plus longtemps que la durée permise par la loi jusqu'à ce qu'elle soit reconnue coupable.