Mike Ward, le P’tit Jérémy pis moé
Rémi Bourget
2016-08-01 15:00:00

D’abord, je dois dire que j’adore l’humour noir et que j’aime bien Mike Ward. Et ce, depuis le temps des jokes de shaft pogné dans chaine de bécik, à Musique Plus, il y a une bonne quinzaine d’années. J’avoue que j’ai ri en estie quand j’ai vu le clip du sketch de Mike Ward sur le p’tit Jérémy, tout comme j’avais ri de la joke sur Cédrika Provencher. Jugez-moi si vous voulez, mais ça m’a fait rire.
Tsé le genre de fou rire incrédule qui devient vite incontrôlable, parce qu’on sait ben qu’on devrait pas rire de ça, mais qu’on en rit quand même.
En privé, avec mes chums, tous les sujets y passent : l’obésité, la race, la religion, le handicap, la pédophilie, etc. Plus c’est déplacé, plus ça nous faire rire. Mais justement, y’a des jokes que tu peux faire dans ta cour ou ton salon, mais qui risquent de te mettre vraiment dans marde si tu les répètes en public (surtout si tu les répètes quelque chose comme 230 fois, pis que tu les mets sur DVD pis sur le web).
Se ranger du côté des bourreaux
Depuis le jugement, j’en suis venu à me questionner sur ce qui fait qu’une foule trouve ça aussi drôle de rire du p’tit Jérémy, par exemple. Mon humble hypothèse, c’est qu’on est vraiment bien quand on est une gang à rire de quelqu’un, justement parce que pendant ce temps-là, personne ne rit de nous.
On a tous un petit quelque chose qui fait qu’on pourrait être la victime des bullies, on est trop petit, trop grand, trop gros, trop maigre, trop pâle, trop foncé, etc. Facque quand c’est quelqu’un d’autre qui se fait rentrer dedans, on préfère se ranger du côté des bourreaux que de la victime; parce que c’est crissement plus l’fun dans ce camp-là!

D’ailleurs, en tant que handicapé, je suis le premier à rire des bonnes jokes de handicapés! Mais la faculté d’en rire n’arrive pas du jour au lendemain. Si t’as trouvé ça tough être au secondaire parce que t’avais de l’acné ou que t’étais un grand slack, imagine ce que ça a pu être pour quelqu’un qui est né avec un handicap.
Imagine maintenant à quoi ta vie peut ressembler quand t’es handicapé dans une école secondaire puis qu’il y a un humoriste hyper connu, super populaire auprès des ados, qui s’acharne sur ton cas pendant 230 représentations, en faisant des jokes sur ta mort; laissant entendre que ta vie vaut pas la peine d’être vécue. On s’entend que c’était pas des jokes banales à propos du fait qu’il chante mal…
Ben oué, Jérémy, on le sait tous qu’il rentre pas dans les standards de beauté. Pis même que je trouve qu’il chante mal moi aussi. Mais je peux très bien comprendre qu’un gars qui est né sourd et muet puisse vouloir dépasser ses limites en chantant pour le pape, par exemple; même si je trouve ça personnellement quétaine. Je suis pas mal sûr que c’est la même motivation qui m’a poussé à l’époque à poursuivre l’entraînement compétitif de boxe, dans le but de faire des combats sanctionnés : transcender les limites que la nature m’a imposées.
Développer la réplique assassine
Dans mon cas, j’étais chanceux. Mon handicap ne m’a jamais empêché de me défendre.
Au primaire, ben des kids de Lavaltrie se rappellent à quel point ça fait mal recevoir un coup de jambe de bois dans les schnolles! Plus tard, j’ai appris à développer la réplique assassine, à trouver les faiblesses de tout le monde, pour pouvoir leur faire subir une attaque nucléaire debullying, si jamais ils s’essayaient sur moi.
Mais ça m’a pas empêché de subir une passe vraiment rough en secondaire 3, à l’âge où chaque différence par rapport à la masse risque de devenir un complexe et où tu rêves juste d’être comme tout le monde. À ce moment-là, je venais de changer d’école secondaire et il y a trois esties de trous de cul qui se sont acharnés sur mon cas pendant toute l’année scolaire faisant de ma vie un calvaire. J’en ai presque jamais parlé à personne, mais estie que cette année-là fut difficile. Pis on s’entend que je suis pas du genre trop vulnérable à la base… Mais ça m’a pas empêché de me sentir complètement traqué, démuni, impuissant; l’espace d’un an.

D’ailleurs, si je revoyais ces trois petits crisses-là aujourd’hui, ça me prendrait tout mon p’tit change pour pas leur sacrer la volée de leur vie. Je le ferais pas, évidemment, mais j’en aurais salement envie. Parce que ce genre de blessures ne s’effacent jamais vraiment.
Tout ça pour dire que, si j’avais eu le malheur d’avoir un humoriste connu qui s’était acharné sur mon cas en faisant des jokes sur mon handicap et ma mort, l’année de mon secondaire trois, je ne sais honnêtement pas ce que je serais devenu. Sérieusement.
Se calmer le pompon
Sur le plan strict du droit, j’ai bien hâte de voir ce que la Cour d’appel décidera dans cette affaire. C’est seulement là qu’on pourra parler d’un « précédent » (seuls les tribunaux supérieurs rendent des « arrêts » qui sont des précédents, by the way).
Mais en attendant, on va se calmer le pompon un instant avant d’affirmer qu’on ne peut plus rire des handicapés, des gros, des noirs, etc.
Quand tu vises un groupe en général, et non une personne en particulier, tu peux toujours rire d’eux, à moins de verser dans le discours haineux; là ça tombe dans le ressort du Code criminel. Ce que le tribunal des droits de la personne vient dire ici, c’est que tu peux pas t’acharner sur quelqu’un, sur la base de son handicap, au point de contribuer à scrapper sa vie pendant des années, sans faire face à certaines conséquences.
Finalement, comme je te disais, je trouve ça drôle moi aussi les jokes de grosses pis de handicapés. Mais est-ce qu’on pourrait arrêter de donner à Mike Ward une posture avec laquelle il est lui-même inconfortable, celle de champion de la liberté d’expression?
Le gars ne fait pas de l’humour politique, il ne défie pas le pouvoir en place, il ne parle pas au nom des sans-voix, etc. Le fait de protéger la vulnérabilité d’un ado handicapé face à un humoriste privilégié ne nous amène pas sur une pente glissante menant à l’État totalitaire.
Demain matin, on va tous pouvoir critiquer le gouvernement publiquement, sans craindre d’être emprisonnés.
''Cet article est initialement paru sur le site Urbania. ''
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Anonyme
il y a 9 ansC'est amusant combien pour plusieurs ce n'est pas le principe mais plutôt s'ils (ou quelqu'un qu'ils apprécient) sont visés par le discours en question.
Les québécois avons l'épiderme particulièrement sensible aux critiques émanant d'autres juridictions. Je me souviens de l'impact de l'article de McClean's qui disait que le Québec était la province la plus corrompue (c'était avant la Commission Charbonneau...).
C'est la même chose avec les articles contre d'autres pays ou religions. On peut être Charlie et pour la liberté d'expression absolue quand on n'est pas concernée, pas convaincu qu'on l'aurait trouvé si drôle s'il y avait eu un spécial Québec où l'on s'était moqué de façon aussi rustre et vulgaire de nous, si par exemple on nous avait fait passé pour des imbéciles heureux et non sophistiqués.
Jérémie en est un autre exemple. Si tu sympathise avec lui, le principe de la liberté d'expression est soudainement moins important...
Huguette Gagnon
il y a 9 ansRéponse à "J'ai dû en manquer un bout"
En lisant le jugement au complet, vous allez vous rendre compte que votre remarque "un jeune handicapé que sa famille donne en spectacle"
n'est pas conforme à la réalité de la famille Gabriel.
Je copie ici quelques extraits des témoignages, de Mike Ward notamment. Après avoir lu ces extraits: qu'en pensez-vous: est-ce que Mike Ward a répandu des faussetés sur cette famille, notamment sur la mère de Jérémy, de son propre aveu? Le juge Hughes ne s'est pas prononcé sur les propos "possiblement diffamatoires" parce qu'il n'avait pas compétence à cet égard. Si le recours avait été en dommages-intérêts, un juge de la Cour supérieure aurait pu accorder des dommages pour de tels débats. Or, la famille Gabriel n'avait pas d'argent pour intenter une poursuite en dommages-intérêts. Simplement pour que vous puissiez juger un peu des propos possiblement diffamatoires de Ward et de quelle personne il a attaqué, voici des extraits du jugement:
"De plus, en raison d’un déficit de son système immunitaire, Jérémy doit recevoir des transfusions sanguines aux trois semaines. Depuis sa naissance, il a subi 23 chirurgies ayant nécessité une anesthésie générale et a été hospitalisé à de nombreuses reprises. Le syndrome dont il souffre n’affecte toutefois pas ses capacités intellectuelles ni son espérance de vie.
En 2003, alors que Jérémy est âgé de six ans, ses parents prennent la décision de lui faire implanter un appareil auditif ostéo-intégré connu sous le nom de BAHA. Sans son implant, Jérémy n’aurait aucune audition. Son implant lui permet d’entendre 80 à 90 % des sons.
Monsieur Ward insinue, par ailleurs, que la mère de Jérémy a utilisé l’argent de ce dernier pour s’acheter des biens de luxe.
s'il a fait des blagues insinuant que la mère de Jérémy a poussé son fils à réaliser ses rêves à elle et a profité de son argent à des fins personnelles, c’est pour faire référence au phénomène fréquent des «showbiz moms ». Il ne croyait pas vraiment que sa mère s’enrichissait aux dépens de Jérémy.
Il a pendant longtemps été impossible pour elle d’avoir un emploi. La famille occupe une maison modeste et a vécu pendant longtemps avec le seul salaire de monsieur Lavoie. Ils n’ont ni chalet ni voiture sport, contrairement à ce que laisse entendre monsieur Ward dans l’une de ses capsules.
Dans une capsule diffusée sur le Web qui met en scène Jérémy en tant que personnage, monsieur Ward qualifie ce dernier de « pas beau qui chante ». Il fait aussi référence au fait que la bouche de Jérémy ne ferme pas au complet. Du même souffle, le personnage de Jérémy enchaîne en disant : « C’est une opération que j’aurais aimé avoir, mais ça l’air que j’aimais mieux mettre tout mon argent dans le char sport que ma mère a acheté. Faque là moi je suis pogné avec ma petite boîte de son sur la tête, ma gueule qui ne ferme pas pis un livre assez moyen merci. » Ces propos ont un lien avec le handicap de Jérémy.
Monsieur Ward précise qu’il ignorait que Jérémy a une malformation qui empêche sa bouche de fermer complètement. S’il a fait une blague à ce sujet, c’est parce que sur la photo utilisée pour la capsule, la bouche de Jérémy est entrouverte.
Compte tenu de sa compétence en matière de discrimination, …des propos pourraient être diffamatoires ou autrement fautifs sans que le Tribunal ait compétence pour les sanctionner. (ma note: si le recours avait été en dommages-intérêts, le juge saisi d'un tel recours, s'il avait conclu à des propos diffamatoires, aurait pu les sanctionner)
Dans une capsule, il était question du pape et de pédophilie …. Le Tribunal juge que ces propos sont sans lien avec le handicap de Jérémy…. Le fait que Jérémy soit connu du public en raison de ses activités artistiques l'expose à être l'objet de commentaires et de blagues sur la place publique. (ma note: seulement les blagues discriminatoires liées au handicap de Jérémy sont sanctionnées par le juge)
Les propos mensongers de Ward circulent énormément sur le Web: les gens attaquent beaucoup la mère qui a tant fait pour son enfant. Lisez le jugement: vous allez voir que l'idée de faire chanter Jérémy ne vient pas d'elle.
Mike Ward a beaucoup d'argent, selon ses déclarations, et le Festival Juste pour rire fait un spectacle-bénéfice pour lui. Pourquoi pas maintenant un spectacle-bénéfice pour la famille Gabriel pour une poursuite en dommages-intérêts (s'il n'y a pas prescription), puisque cette famille n'a pas d'argent pour intenter un tel recours? Je dis cela ironiquement.
soul99
il y a 9 ansMerci Maître pour ces précisions et ces pensées. Je suis d'accord avec vous, Mike Ward aurait pu (du ?) se retrouver devant les tribunaux pour diffamation en plus de ce procès en cours. Mais par dessus tout, indépendamment de ce qui est légal ou pas, ce que je déplore est l'opportunisme de cet artiste. Si dans une assemblée, quelqu'un commence à faire une blague sur une personne forte présente, qu'il la traite de grosse vache, de truie, et que tout le monde se met à rire, c'est déjà bête et méchant. Mais soit. Si elle réagit bien, qu'elle a de la répartie et qu'elle entre dans le jeu, pourquoi pas... Navrant, mais bon... Si elle se met à pleurer toutes les larmes de son corps, qu'elle souffre visiblement de ces remarques, et que notre petit comique continue encore et encore, on ne parle plus de la même chose. Il ne peut plus plaider le fait qu'il ne savait pas qu'il faisait du mal. Mike Ward fait des blagues limite, bien. Il lui est signifié d'arrêter, il continue, c'est déjà trop. Il se fait poursuivre et veut se servir d'une tribune (le Gala des Oliviers) pour continuer encore et encore, en plaidant la liberté d'expression, sérieusement non. Il a pris une ligne très "Dieudonné" qui a fait de l'humour gentillet, complétement dépolitisé pendant des années et peu populaire, a vu que ses blagues extrêmistes marchaient bien et en a fait son cheval de bataille. Pourquoi les mêmes qui applaudissent le refus de laisser Dieudonné entrer au pays s'insurgent qu'on limite la liberté d'expression d'un Mike Ward ?