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Trump 2.0, la règle de droit et la réponse des avocats d’ici

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Vincent Denault

2025-05-14 11:15:43

Que font les avocats d’ici pour défendre la règle de droit, quand elle est attaquée aux États-Unis ou ici-même, interroge ce membre du Barreau du Québec.

Vincent Denault - source : Courtoisie


Aux États-Unis, la règle de droit est méprisée par la Maison-Blanche. En plus des attaques gratuites à l’endroit des tribunaux américains, qui ont d’ailleurs mené à une sortie publique du juge en chef de la Cour suprême des États-Unis en mars dernier, des firmes d’avocats ayant travaillé avec des adversaires politiques du président américain ont été visées par des décrets présidentiels.

Une partie des firmes ont capitulé et trouvé un accord, en offrant à l’aspirant dictateur des millions de dollars en temps pro bono et en cessant leurs politiques EDI (équité, diversité, inclusion), entre autres. Rappelons que de telles politiques à la Maison-Blanche auraient sans doute aidé à freiner des nominations absurdes à des postes clés, par exemple un négationniste de la science comme secrétaire à la Santé et un animateur de Fox News comme secrétaire à la Défense.

Certaines firmes qui n’étaient pas visées par des décrets présidentiels, mais qui craignaient de l’être, se seraient entendues avec le président américain, selon ses dires. Sans compter celles qui ont plié les genoux à l’avance, renommant ou supprimant leurs politiques EDI, ou qui sont demeurées silencieuses. Dans un document public intitulé Legal Industry Responses to Fascist Attacks Tracker, des étudiants en droit de l’Université de Georgetown ont recensé les réponses de plusieurs de ces firmes. Notons que certaines d’entre elles ont pignon sur rue à Montréal.

L’autre partie des firmes visées par les décrets du président américain ont choisi de les contester en justice. Perkins Coie, par exemple, qui avait travaillé avec Hillary Clinton lors de sa campagne présidentielle en 2016, a obtenu cette semaine une injonction permanente à l’encontre du décret qui la visait. La firme était appuyée par plus de 500 bureaux d’avocats dans sa procédure à l’encontre du président américain.

Les effets du mépris de la règle de droit par la Maison-Blanche ne sont pas limités par une frontière géographique. Les attaques à l’endroit des tribunaux américains, par exemple, sont relayées par les médias sociaux et les médias traditionnels. Et si ce n’était pas suffisant, les tribunaux d’ici font l’objet d’attaques gratuites de la part de chroniqueurs et de politiciens qui, visiblement, apprécient le système de justice, non pas comme un pilier de la démocratie, mais selon que les décisions des tribunaux appuient ou non leurs points de vue.

En février 2024, par exemple, François Legault a mis en doute publiquement l’impartialité et l’indépendance des juges de la Cour d’appel du Québec après avoir perdu un litige portant sur les services de garde subventionnés. Évidemment, le premier ministre québécois n’a pas répété ses attaques la semaine suivante, après que la Cour d’appel eut validé sa Loi sur la laïcité de l’État.

Des associations professionnelles d’ici prennent parfois la parole. Mais des communiqués écrits qui ne font la nouvelle que quelques heures ne suffisent pas face à la pléthore de publications et de commentaires haineux faits à l’endroit des tribunaux sur les médias sociaux.

Aux États-Unis, des avocats démissionnent de firmes qui ont plié les genoux devant le président américain, renonçant à des salaires à six chiffres. Des étudiants en droit choisissent les bureaux qui défendent la règle de droit plutôt que ceux qui payent plus. Pour ceux qui s’opposent aux politiques toxiques de la Maison-Blanche, le choix devient clair. Évidemment, pour les clients qui souhaitent obtenir des faveurs d’un gouvernement qui privilégie la loyauté plutôt que la compétence, le choix devient clair aussi.

L’importance de la règle de droit n’est pas un argument à géométrie variable. Lorsque des avocats d’ici l’invoquent pour justifier la défense de causes qui, aux yeux du public, sont injustifiables, mais demeurent silencieux lorsque les tribunaux font l’objet d’attaques gratuites de la part de chroniqueurs et de politiciens, l’incohérence est manifeste. Même chose si des avocats d’ici, employés par des firmes qui se vantent de travailler aux États-Unis, se félicitaient de défendre de « grandes causes » et de promouvoir des politiques EDI alors que leurs collègues américains minent ces mêmes « grandes causes » et démantèlent les politiques EDI.

Peut-être que les avocats d’ici devraient prendre en exemple les avocats et les étudiants en droit américains qui, contrairement à d’autres, tiennent tête à un aspirant dictateur et ne pas attendre que la confiance du public, pourtant fondamentale au bon fonctionnement du système judiciaire, soit compromise davantage. Parce que même si les avocats d’ici savent que ce qui se passe au Canada est bien différent de ce qui se passe aux États-Unis, le public, lui, ne le sait peut-être pas.

Ce texte a été publié une première fois dans Le Devoir.

Sur l’auteur

Vincent Denault est professeur adjoint à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2008.

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