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Fusions et acquisitions : une pause ou un nouveau paradigme?

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Robert Yalden Et Michael Matheson

2008-02-12 09:02:00

Au début du troisième trimestre de 2007, le niveau d’activité dans le domaine des fusions et acquisitions au Canada a connu un changement draconien.

Après un deuxième trimestre exceptionnel, le nombre et la valeur totale des opérations annoncées ont soudainement chuté, et les opérations qui étaient prévues ont été mises en attente.
Et plus remarquable encore a été la disparition quasi totale des « super opérations » financées par des capitaux privés.

Ce repli a été d’autant plus surprenant que l’activité dans le domaine des fusions et acquisitions au Canada avait crû à un rythme foudroyant au cours des dernières années. Le nombre de prises de contrôle avait été très élevé dans de nombreux secteurs de l’économie canadienne, et les volumes et la valeur en dollars des opérations établissaient des records année après année.

En 2006, par exemple, les opérations annoncées avaient presque atteint le chiffre de 2 000, soit deux fois plus qu’il y a deux ans, et la valeur des opérations avait également augmenté de façon importante, atteignant 257 milliards de dollars.
Tous les indices annonçaient que les records continueraient à être fracassés en 2007.

Les deux premiers trimestres de l’année ont de nouveau enregistré des volumes qui laissaient présager l’atteinte de nouveaux sommets, et la valeur du dollar a augmenté, mue par des opérations aussi considérables que l’acquisition de BCE par le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et ses partenaires privés ainsi que l’acquisition du géant minier Alcan par Rio Tinto.

Les données fondamentales à l’origine de cette situation au cours des dernières années demeuraient toujours valables : des bilans solides, des taux d’intérêt faibles, la demande en ressources naturelles provenant de pays comme l’Inde et la Chine et, finalement, des changements prévus à la structure fiscale des fiducies de revenu.

La chute soudaine d’activité dans le domaine des fusions et acquisitions découle de la crise des prêts à haut risque aux États- Unis. Des inquiétudes sur la capacité d’un grand nombre de nouveaux propriétaires de maisons d’honorer leurs engagements ont entraîné une baisse des prix des maisons sur des marchés américains clés au milieu de l’année.

Bien que le marché des prêts à haut risque ne soit pas lié directement au financement par emprunt du monde des affaires, les investisseurs ont commencé à avoir des doutes sur la qualité des emprunts restructurés et vendus par les prêteurs initiaux.

Leur anxiété s’est transformée en inquiétude généralisée à l’égard de l’évaluation correcte du risque, à mesure que les prêteurs se retiraient des marchés du crédit. Même si les taux d’intérêt sont demeurés relativement stables, en grande partie par suite de l’intervention de la Banque centrale, le coût des emprunts a été réévalué à la hausse en fonction des risques.

Une nouvelle réalité pour les investisseurs privés
L’incidence sur les investisseurs privés a été rapide et marquée. À mesure que les marchés du crédit ont commencé à se tarir, les investisseurs privés ont eu beaucoup plus de difficulté à se procurer les sommes qu’ils avaient l’habitude d’emprunter pour financer leurs acquisitions au cours des dernières années. Les banques étant incapables de céder d’importants prêts au marché institutionnel par manque d’acheteurs, les investisseurs privés ont arrêté d’alimenter le secteur des fusions et acquisitions.

Cette situation ne s’est pas limitée au Canada. Aux États-Unis, en Europe et en Asie, les opérations de plusieurs milliards de dollars menées par des investisseurs privés ont atteint un sommet au deuxième trimestre de 2007 puis ont chuté brutalement.

Au cours des dernières années, les investisseurs privés ont été des participants importants dans l’activité de fusions et acquisitions au Canada. Il y a plusieurs raisons pour cela, l’une des principales étant que les grands investisseurs institutionnels, par exemple les fonds de retraite, recherchent des associés privés avec qui réaliser des opérations. Cette tendance a pour origine le besoin de réaliser des rendements importants, ce qui devient de plus en plus difficile à mesure que les fonds grossissent.

On se demande inévitablement s’il s’agit d’une pause à court terme ou d’une reconfiguration plus durable du paysage des fusions et acquisitions. Après seulement quelques mois, il est trop tôt pour savoir si l’élan qu’on a connu au cours des dernières années a disparu définitivement.

Toutefois, il n’y a aucune raison de croire que le rôle des investisseurs privés et des investisseurs institutionnels changera à long terme, étant donné que la recherche de rendements élevés se poursuivra. C’est une tendance établie depuis longtemps aux États-Unis et qui s’est implantée également au Canada. Et pourtant, les fonds d’investissement privés pourraient ne pas jouir d’un crédit aussi facile que celui qu’ils ont connu au cours de la première moitié de cette décennie.

Depuis le 11 septembre 2001, l’économie mondiale a connu une liquidité exceptionnelle, résultat des faibles taux d’intérêt décidés par la Réserve fédérale américaine et de l’extraordinaire appétit de la Chine envers les instruments financiers américains. Cette liquidité pourrait diminuer, avec le resserrement possible de la politique monétaire américaine et une augmentation généralisée de la perception des risques du marché. Par conséquent, les investisseurs privés, bien qu’ils soient toujours en mesure d’emprunter des fonds pour des prises de contrôle, pourraient devoir payer un coût d’emprunt plus élevé qu’auparavant et donc être plus prudents lorsqu’ils envisageront des acquisitions d’entreprises.

Le marché des fusions et acquisitions est toujours dynamique
Ce nouveau cadre financier ne signifie pas que les fusions et acquisitions ont soudainement disparu du paysage commercial canadien. Bien que le volume des opérations ait chuté de façon marquée par rapport à celui du premier semestre de 2007, il se situe toujours à un niveau comparable à celui de 2006, qui était une année record. Les opérations sont maintenant de taille plus réduite et attirent encore les investisseurs privés, soutenus par des prêteurs moins enclins à s’engager dans les grandes opérations qu’au début de l’année.

À long terme, le Canada est susceptible d’avoir la faveur des investisseurs recherchant des rendements élevés mais sûrs, en particulier dans le secteur des ressources naturelles. Les règlements sur les valeurs mobilières du Canada en font un pays accueillant pour les acheteurs et l’un des territoires les plus stables au monde sur le plan politique. De plus, la force du dollar canadien, qui se situe à des niveaux inégalés depuis 30 ans par rapport au dollar américain et qui est l’une des grandes monnaies qui a le plus progressé au cours de la dernière année, encouragera les sociétés et les investisseurs canadiens à rechercher de nouvelles occasions à l’étranger.

Le changement le plus important donc, entraîné par un resserrement du crédit, est un changement de direction au sein du secteur des fusions et acquisitions. Auparavant, les investisseurs stratégiques industriels étaient souvent désavantagés face aux investisseurs privés qui bénéficiaient du fait qu’ils n’avaient pas à faire face aux mêmes exigences réglementaires et disposaient de liquidités considérables avec lesquelles soumissionner.

Les investisseurs privés faisant maintenant face à un resserrement du crédit, les acheteurs industriels découvrent que leurs offres, qui peuvent comporter leurs propres actions, avec ou sans partie au comptant, sont plus attrayantes qu’auparavant et qu’elles sont en meilleure position pour se battre pour l’acquisition d’éléments d’actif stratégiques.

À mesure que la mondialisation se poursuit, le besoin d’atteindre des économies d’échelle sera toujours une grande préoccupation des sociétés et cela ne sera pas touché par le climat d’emprunt touchant les investisseurs privés. Quels que soient l’incidence du ralentissement récent et les rajustements qui en résulteront, le secteur des fusions et acquisitions continuera à être vigoureux.

Par Robert Yalden et Michael Matheson, associés chez Osler, Hoskin & Harcourt.
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