Remerciant Me Laferrière d'avoir propulsé devant la communauté juridique les questions entourant à la fois le droit constitutionnel et le processus d'accession du Canada à l'indépendance, nous tenons à souligner deux choses : la controverse autour des assises des pouvoirs de l'État en droit interne canadien et l'arrêt du Comité judicaire de 1947 sur la question de la fin de sa juridiction sur le Canada.
Dans Procureur général de l'Ontario c. Procureur général du Canada en 1947 (Abolition of Privy Council Appeals Reference, 1947 A.C. 127), le Comité judiciaire a été très clair quant au pouvoir du Parlement fédéral de mettre fin aux appels à Londres. Le libellé exact ayant fait l'objet du Renvoi en 1947 était beaucoup plus élaboré que celui se trouvant aujourd'hui dans la Loi sur la Cour suprême.
Il manifestait sans équivoque l'intention du Parlement de mettre fin à la fois aux appels existants en vertu de la prérogative royale qu'à ceux existant en vertu de toute autre source du droit, dont des lois impériales adoptées par le Parlement britannique pour l'Empire et visant à régir ces appels. Le Comité judiciaire ayant validé le pouvoir du Parlement fédéral d'édicter une telle loi à cette époque, cette intention doit être respectée. Aucun plaideur ne pourrait donc obtenir une permission d'appeler d'une décision de la Cour suprême de nos jours.
La question plus large soulevée par Me Laferrière est cependant beaucoup plus controversée et intéressante : Quelles sont les assises des pouvoirs de notre État dans notre droit ?
Cette question fait l'objet d'un contentieux devant les tribunaux relativement à la validité de la Loi de 2013 sur la succession au trône. Me Laferrière s'interroge : « Manifestement, est-ce que cet article a pour effet de lier la juridiction anglaise du Comité qui se situe à l'extérieur du territoire canadien ... ». Là est toute la question.
Droit canadien ou britannique ?
Si, par exemple, les justiciables du Québec pouvaient appeler des décisions de la Cour d'appel du Québec (alors la Cour du banc du Roi) et des décisions de la Cour suprême à Sa Majesté en conseil privé, c'est que le droit du Canada le permettait. Comme le gouvernement fédéral le reconnaissait dans son projet de loi modifiant la Loi sur la Cour suprême soumis à l'étude du Comité judiciaire en 1947, les appels au Comité judiciaire étaient possibles car des lois impériales, fédérales et provinciales, et la common law par prérogative royale, le prévoyaient. On trouve parmi ces lois les Judicial Committee Acts de 1833 et de 1844 qui avaient été édictées dans le droit du Canada par le Parlement de Westminster.
La question est brûlante d'actualité, car le gouvernement fédéral considère aujourd'hui que le pouvoir de décider de la personne du chef d'État du Canada réside en droit britannique, en dehors de notre ordre juridique. Dans la Loi de 2013 sur la succession au trône et dans les plaidoiries au soutien de sa validité constitutionnelle qui ont été faites devant la Cour supérieure du Québec (Motard et Taillon c. Procureur général du Canada, no 200-17-018455-139), le gouvernement fédéral soutient que ce n'est pas en vertu du droit du Canada qu'Elizabeth II a les pouvoirs (théoriques) de l'État canadien, mais en vertu de l'ordre juridique britannique.
Son argument est le suivant : une modification aux règles de succession opérée par le Parlement britannique – même après l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 – s’applique automatiquement en droit canadien. À l’inverse, les deux professeurs de la Faculté de droit de l’Université Laval, soutenus par le Procureur général du Québec et l’organisation monarchiste Royal Heritage Trust, prétendent que seule une modification du droit canadien permet d’introduire au Canada une telle réforme.
Or, le simple fait que Me Laferrière puisse jeter un doute sur la validité de l’abolition du droit d’appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres démontre la complexité de l'ordre constitutionnel canadien, dont les frontières autant juridictionnelles que conceptuelles peuvent sembler floues.
En réalité, Me Laferrière prétend que le droit d’en appeler devant le Comité judiciaire – parce qu’il a été établi par le droit britannique – ne pourrait être modifié ou abrogé au Canada que par une loi britannique et non par une loi fédérale. Une telle affirmation, à l’instar de la position du Procureur général du Canada dans le dossier de la succession royale, repose sur une profonde méconnaissance du processus d’accession du Canada à l’indépendance.
Ce raisonnement fait fi des conséquences du Statut de Westminster et de la Loi de 1982 sur le Canada (article 2) qui ont justement pour effet de permettre aux organes de la fédération canadienne de dorénavant modifier, à leur guise, les normes juridiques dont ils ont hérité de l’époque impériale.
Chez Me Laferrière comme dans la position du Procureur général du Canada dans le dossier de la succession royale, il y a cette idée que le Parlement britannique serait encore à ce jour le seul organe compétent à régir certains aspects du droit constitutionnel canadien. C’est là une approche incompatible avec l’indépendance du Canada.
Julien Fournier est étudiant en droit chez Norton Rose Fulbright à Québec et est candidat à la maîtrise en droit constitutionnel à l'Université Laval.
Mathieu Bernier-Trudeau est étudiant en droit chez McCarthy Tétrault à Montréal et est candidat à la maîtrise en droit à Harvard Law School.
Mathieu Bernier-Trudeau est étudiant en droit chez McCarthy Tétrault à Montréal et est candidat à la maîtrise en droit à Harvard Law School.
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