Me Félix Martineau, l’un des avocats à l’origine d'une pétition qui voulait les faire reculer dans leur démarche
Me Félix Martineau, l’un des avocats à l’origine d'une pétition qui voulait les faire reculer dans leur démarche
L’Assemblée générale extraordinaire (AGE) des membres du Barreau du Québec s’est tenue jeudi soir au centre-ville de Montréal en présence de quelque 750 avocats.

Une mince majorité d’avocats, soit 52%, a exigé que le Barreau retire ses procédures demandant l’invalidation de toutes les lois du Québec.

Il s’agit de la deuxième AGE dans toute l’histoire du Barreau, après celle concernant l’affaire Khuong qui demandait à l’époque la démission en bloc du CA et de l’ancienne bâtonnière Lu Chan Khuong ainsi que la tenue de nouvelles élections.

Cette fois, l’objet de la discorde est la décision des barreaux de Québec et de Montréal de demander à la Cour supérieure l’invalidation de toutes les lois québécoises. Ils déplorent en effet que celles-ci n’aient pas été adoptées simultanément en français et en anglais à l'Assemblée nationale, conformément à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Beaucoup d’émotions!

Me François Côté, l’un de ceux qui ont plaidé pour la tenue de cette AGE
Me François Côté, l’un de ceux qui ont plaidé pour la tenue de cette AGE
Dans le clan des « opposants » aux barreaux, on trouvait Me Félix Martineau, l’un des avocats à l’origine d'une pétition qui voulait les faire reculer dans leur démarche, ou encore Me François Côté, l’un de ceux qui ont plaidé pour la tenue de cette AGE et qui, en 2014, avait porté plainte à l'Office québécois de la langue française contre une publicité de l'humoriste Sugar Sammy.

Dans ceux des défenseurs du Barreau, se trouvaient Me Alexandre Forest de Gowling WLG, Me Magali Fournier de Brouillette Legal, Me Anne-France Goldwater de Goldwater Dubé, Me Nicola Di Iorio avocat chez Langlois et député libéral ou encore Me Brian Mitchell, l’ancien bâtonnier de Montréal.

Si l’ambiance était « animée, cordiale et respectueuse » selon Me Martineau, on pouvait quand même sentir beaucoup d’émotions dans la salle. D’ailleurs, des tracts ont été distribués par Me Mitchell et ses alliés à l’entrée pour rappeler aux membres les actions que le Barreau avait entreprises depuis 2010 dans ce dossier linguistique controversé.

Ces tracts ont ensuite été jugés contraires aux règles du code Lespérance (code qui encadre le déroulement d’assemblées générales, dérivé du code Morin) par le président de l’Assemblée l’ancien juge de la Cour d’appel, Pierre J. Dalphond.

Trois résolutions, trois votes

Les membres ont été appelés à voter sur trois résolutions.

Me Anne-France Goldwater de Goldwater Dubé
Me Anne-France Goldwater de Goldwater Dubé
La première, adoptée à quelque 52 % - selon les chiffres rapportés par Me Martineau - demandait le retrait par le Barreau des procédures instituées en Cour supérieure.

La seconde, adoptée à quelque 52 %, demandait que le Barreau s’abstienne de réinstituer de nouvelles procédures dans le même dossier.

Enfin, la troisième demandait que le Barreau consulte électroniquement ses membres avant d’entreprendre de telles démarches à l’avenir. Celle-ci a été battue, à environ 60 %.

« Nous sommes très satisfaits du résultat. Une voix claire s’est exprimée pour dire : « Nous ne faisons pas de politique! » lance Me François Côté au bout du fil.

« La profession d’avocat s’est exprimée sur le rôle et la mission du Barreau et sur son devoir de s’abstenir de participer à des dossiers politiques », dit à Droit-inc celui qui a pris le micro hier soir pour défendre les trois propositions devant l’Assemblée. « Dans ce dossier, le Barreau met en péril son indépendance, son impartialité et son apparence de neutralité. »

Que répond le Barreau?

Me Brian Mitchell, l’ancien bâtonnier de Montréal
Me Brian Mitchell, l’ancien bâtonnier de Montréal
Le Barreau du Québec a déclaré par voie de communiqué prendre acte des recommandations des membres et des points de vue échangés lors de cette AGE tenue hier soir.

Contacté par Droit-inc, le Barreau a toutefois décliné toute demande d’entrevue. « Le CA va maintenant délibérer et prendre en considération l’avis de ses membres », a déclaré la porte-parole Martine Meilleur. Il communiquera en temps opportun avec eux, a-t-elle ajouté.

Pour le bâtonnier du Québec Me Paul-Matthieu Grondin, l’AGE a été une opportunité d’échanger directement avec les membres et « d’écouter ce qu’ils ont à dire ».

« L’idée n’est pas d’avoir des gagnants ou des perdants. Il s’agissait d’un échange d’idées et je trouve stimulant le fait que nous ayons eu des débats respectueux au Barreau sur la question de la protection du public qui est notre mission », a-t-il ajouté, par voie de communiqué. « Notre ordre professionnel est démocratique et nous avons tous des opinions. L’action du Barreau a été et continuera d’être axée sur la défense de la primauté du droit et la protection du public. »

Pas de politique pour le Barreau

Me Paul-Matthieu Grondin
Me Paul-Matthieu Grondin
Me Félix Martineau s’est déclaré « très content » du résultat du vote, même si « déçu » par le fait que l’AGE se soit déroulée en plein centre-ville de Montréal, à l’heure de pointe, empêchant les membres habitant plus loin de s’y rendre.

« Que les deux premières résolutions soient adoptées est manifestement un désaveu du Barreau et un réalignement de ses missions. Il doit s’abstenir de faire de la politique. Parfois, la ligne entre politique et droit peut être mince », dit-il.

Après le discours donné par la bâtonnier Grondin hier soir, Me Martineau se dit « confiant » quant au fait que le Barreau respectera la volonté de ses membres.

Cela dit, le CA du Barreau n’est pas tenu d’agir (comme ce fut le cas dans l’affaire Khuong d’ailleurs). « Il pourrait ne pas y faire suite, conçoit Me Côté, mais personne ne veut revisiter une telle situation. »

« C’est clair que le Barreau doit revenir sur sa décision d’instituer le recours », affirme Me Alexandre Thiriault-Marois, avocat au service des affaires juridiques de la ville de Laval, qui a voté « pour » la demande de retrait. « Les membres ont envoyé au Barreau le message clair qu’il n’aurait pas dû les instituer dans la forme où il les a institués. »

D’autres recours auraient pu être justifiés, poursuit-il. « Je pense notamment aux représentations que le Barreau a faites sur les peines minimales. Si le Barreau était allé chercher des conclusions de type “déclaratoires”, le résultat aurait sûrement été différent. L’Assemblée nationale aurait pu prendre acte de cette déclaration. Là, le Barreau demandait des conclusions trop larges, trop radicales », dit-il, faisant référence à la demande d’invalidation de l’ensemble des lois québécoises.

« La menace de l’arme nucléaire »

Me Magali Fournier de Brouillette Legal
Me Magali Fournier de Brouillette Legal
Enfin, pour Me François Côté, le Barreau ne devrait pas « chercher à sortir la menace de l’arme nucléaire comme « argument de négociation » dans un dossier aux accents politiques.

Pour Me Thiriault-Marois, c’est surtout la nature du dossier qui pose problème : « éminemment politique », dit-il.

« Si vous n’êtes pas satisfait d’une négociation avec une autre partie, et en l'occurrence ici le gouvernement du Québec, le fait de recourir à des procédures judiciaires pour forcer la main de votre interlocuteur est discutable », explique Me Côté.

Pour lui, c’est aussi cette méthode qu’a condamnée l’AGE hier soir.

Notons qu’à l’heure d’écrire ces lignes, aucun des avocats contactés par Droit-inc et ayant voté « contre » aux deux premières propositions de l’AGE n’a retourné nos demandes d’entrevue.