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Un procès est annulé à cause d’une « faute grossière » d’un procureur

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Camille Laurin-desjardins

2020-08-28 11:15:00

Un procureur du DPCP est sévèrement blâmé dans un jugement de la Cour supérieure...

Le juge Alexandre Boucher. Photo : Site Web de l'Université York
Le juge Alexandre Boucher. Photo : Site Web de l'Université York
Un consultant privé soupçonné d’avoir participé à une fraude de 6 M$ contre la Ville de Montréal a vu son deuxième procès être avorté.

Dans son jugement de la Cour supérieure, le juge Alexandre Boucher affirme que l’agissement de Me Guy Marengère, procureur au bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales du DPCP, a porté atteinte à l’équité du procès.

« Le procureur de la Couronne a illégalement porté à la connaissance du jury un élément de preuve inadmissible, c’est l’évidence même, écrit le juge. Aucune règle de preuve en matière de contre-interrogatoire ou de preuve documentaire ne lui permettait d’agir comme il l’a fait. »

Rappel des faits

Benoit Bissonnette a été arrêté en 2009, dans le cadre d’une enquête de l’escouade Marteau de la Sûreté du Québec (avant qu’elle ne soit remplacée par l’Unité permanente anticorruption).

Le consultant privé était accusé de complot pour fraude et de complicité, pour avoir aidé un fonctionnaire municipal, Gilles Parent (congédié et condamné à six ans de prison pour fraude), à commettre un abus de confiance.

En 2015, Benoit Bissonnette avait été acquitté au terme d’un premier procès devant jury. La poursuite avait toutefois porté l’affaire en appel, et un nouveau procès avait débuté en février dernier. Celui-ci avait été suspendu en mars, en raison de la pandémie, et avait repris le 29 juin.

Ensemble, les deux hommes auraient comploté « en vue de commettre des malversations liées à l’attribution et à l’administration de lucratifs contrats de sous-traitance consentis à des firmes de services informatiques », peut-on lire dans le jugement.

Selon la Couronne, on aurait facturé des services à la Ville par le truchement d’une compagnie-écran, recueilli des commissions auprès des firmes sous contrats avec la Ville, facturé du travail en double, et détourné des sommes avancés par la Ville pour des services qui n’ont jamais été réalisés.

« Les sommes spoliées totaliseraient environ 6 millions de dollars, peut-on lire dans le jugement. Une partie importante de l’argent aurait été transférée à Hong Kong par l’entremise de comptes bancaires et d’une compagnie basée à Hong Kong. »

Citation d’une preuve inadmissible

Le 24 avril, un jugement avait été rendu, déclarant inadmissibles en preuve des documents d’incorporation d’une société YZB, à Hong Kong, parce qu’ils constituaient « du ouï-dire ».

Toutefois, le 13 août dernier, alors qu’il contre-interrogeait la conjointe de l’accusée (elle est originaire de Chine et ses parents âgés y vivent toujours), Me Marengère est allé « d’un coup de théâtre », selon le juge Boucher.

« Au moyen d’une rafale de questions suggestives, il fait dire à Madame qu’elle a assisté au procès civil, que les documents constitutifs de la compagnie utilisée par M. Parent pour faire des transactions à Hong Kong ont été mis en preuve à ce procès, et que sa mère était seule administratrice et actionnaire de cette compagnie selon les documents en question. »

Me Marc Labelle. Photo : Archives
Me Marc Labelle. Photo : Archives
Le magistrat critique également la manière dont Me Marengère a fait ces révélations.

« En outre, la preuve illégale a été révélée de manière percutante, ajoute-t-il. Il y avait, pour ainsi dire, un côté “Aha! Je vous ai bien eue!” à la manœuvre du procureur de la poursuite. Le jury a pu être impressionné de voir la conjointe de l’accusé être mise en boîte au moyen de renseignements incriminants pouvant sembler crédibles. »

L’avocat de M. Bissonnette, Me Marc Labelle, a formulé une objection. Le juge du procès s’est ensuite entretenu avec les deux avocats, sans la présence du jury.

Le Tribunal a par la suite donné une directive au jury, « dénonçant la conduite du procureur et ordonnant au jury d’ignorer complètement la preuve relative aux documents corporatifs, peut-on lire dans le jugement. Les parties conviennent que le Tribunal s’est exprimé en termes clairs et sur un ton ferme. »

« Une faute flagrante et grossière »

Benoit Bissonnette a demandé une annulation du procès et un arrêt des procédures, pour ensuite se rétracter sur ce dernier point. Le juge Boucher lui a donné raison, blâmant sévèrement Me Marengère au passage.

« Le procureur n’a pas simplement contre-interrogé le témoin sur des faits non prouvés en étant de bonne foi comme cela est permis, écrit le juge Boucher. Il a contourné une règle de preuve et un jugement du Tribunal pour révéler au jury des faits inadmissibles. »

Le magistrat a conclu que le préjudice ne peut être réparé au moyen de la directive correctrice au jury et que l'annulation du procès est une « mesure nécessaire ».

« Le Tribunal ne prend pas cette décision à la légère, affirme le juge Boucher. L’annulation du procès, surtout à un stade avancé, entraîne des coûts et d’autres conséquences déplorables pour toutes les personnes affectées par le procès, le système de justice et la société. »

« Le procureur de la Couronne a carrément contrevenu à un jugement du Tribunal, poursuit-il. Tout indique que les questions fautives étaient délibérées. Même s’il s’agit probablement d’une bévue commise sans mauvaise intention, la faute est flagrante et grossière. »

Le dossier est donc remis au 9 septembre prochain.

Me Marengère n'a pas répondu à notre demande d'entrevue.
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3 commentaires

  1. Anonyme
    Anonyme
    il y a 3 ans
    Me Marengère n'a rien porté à la connaissance du jury
    Primo, c'est la femme de l'accusé qui a fait ladite déclaration.

    Deuzio, si le juge (ou l'avocat de la défense) n'est pas content de la réponse, il aurait dû s'objecter à la question à l'origine de celle-ci, plutôt que de blâmer celui qui l'a posée.

    Trio (et en lien avec le point précédent), si la question posée ne permettait pas d'imaginer qu'elle conduirait à la réponse prétendument indésirable, comment peut-on blâmer celui qui l'a posée?


    Ce blâme est complètement abusif. Certain témoin ont tendance à pondre des romans en réponse à une question simple, et s'ils ont le malheure de fournir des réponses débordant de la question, et contenant des éléments indésirable, on va blâmer l'avocat questionnant ce témoin ?

  2. Anonyme
    Anonyme
    il y a 3 ans
    Semble bizzare comme décision!
    Bon! transparence, je ne suis pas criminaliste ma dernière relation avec le droit criminel date de plusieurs décennies à l'École du Barreau.

    J'ai compris que la preuve des documents corporatifs sont inademissibles pour une question de la qualité de la provenance et donc de la fiabilité, si je comprends bien (oui dire).

    Mais dans le cadre d'un témoignage portant sur les faits que le témoin a une connaissance personnelle, quelle est la limite dans le cadre d'un système judiciaire qui fait la promotion d'établir toute la vérité pour ensuite décider s'il y a doute raisonnable.

    De plus, cette information semble pas porter atteinte aux droits fondamentaux de l'accusé.

    Si quelqu'un peut nous éclairer sur le fondement juridique de la décision, cela serait bien apprécié par curiosité, je ne compte pas devenir criminaliste, c'est trop tard pour moi :)

    • Anonyme
      Anonyme
      il y a 3 ans
      le fondement juridique de la décision
      Le fondement juridique est simple.

      Parce qu'elle a d'abord témoigné pour la défense, la conjointe de l'accusé se fait ensuite contre interroger par la couronne et là, coup de théâtre! : la conjointe expose l'information jugée "toxique" pour le jury.

      Si la question à l'origine de la réponse toxique laissait entrevoir cette réponse, qu'on essaye pas de me faire croire que le juge, de même que Marc Labelle (qui est une très grosse pointure en droit crimminel) n'ont pas eu le temps de s'y objecter. Et si ladite question ne laissait pas entrevoir cette réponse, les interrogations devraient porter sur le comportement de la conjointe.

      Ici, l'accusé est un "smatte", et sa conjointe l'est probablement aussi. C'est le genre de personnes qui n'ont pas besoin de se faire coacher par un avocat pour comprendre que l'évocation, devant le jury, d'une information auparavant jugée non-fiable par le tribunal, risque de faire dérailler le procès.

      Tout cela rappel un débat survenu au début des années 2000, lorsque le couronne cherchait à interroger des témoins venant s'incriminer à la place de l'accusé, afin de les faire acquitter. La courone cherchait à savoir ce que ces témoins providentiels connaissaient des dispositions de la Charte (la vrai, pas le gugusse québécois) limitant la possibilité d'utiliser ensuite leur témoignage contre eux. Cette question a remontée jusqu'à la CSC, mais j'ignore ce qu'il en est advenu.

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