Un greffier spécial se vide le cœur!

Un greffier spécial de la Cour supérieure dénonce vertement l'impact des récents changements législatifs en matière de protection des personnes inaptes.
Le 1er novembre 2022, certaines dispositions de la Loi modifiant le Code civil, le Code de procédure civile, la Loi sur le curateur public et diverses dispositions en matière de protection des personnes sont entrées en vigueur.
Le cœur de la critique du greffier spécial porte sur l'effet pervers de ces changements. Selon lui, la réforme a entraîné une multiplication des procédures judiciaires et administratives qui engorgent la Cour supérieure et paralysent ses fonctions judiciaires essentielles, en plus de provoquer une augmentation des coûts et des délais de traitement.
Me Petrishki considère ni plus ni moins que ces changements portent atteinte aux droits des personnes vulnérables et à l'accès à la justice.
Le greffier spécial déplore que depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le greffe de la Cour supérieure est inondé par des nouvelles procédures « purement administratives » de type « rubber stamp », alors que des fonctions judiciaires comme l'évaluation de l'inaptitude ont été transférées aux évaluateurs médicaux et psychosociaux à titre de « tribunaux parallèles ».
Augmentation des coûts, allongement des délais et… surmortalité?
Me Petrishki note que la réforme a fait augmenter significativement les coûts d’une évaluation psychosociale par un évaluateur en pratique privée et fait doubler les délais d’obtention d’une évaluation psychosociale par un évaluateur du réseau public de la santé et des services sociaux.
« Je constate également un nombre très élevé de dossiers judiciaires fermés avant l’obtention du jugement vu le décès de la personne concernée pendant la procédure. Cette surmortalité marquée pendant la procédure est-elle attribuable aux longs délais et aux coûts prohibitifs causés par les modifications législatives et réglementaires? » s’interroge le greffier spécial.
Un processus de tutelle plus long et plus coûteux
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi, plusieurs exigences et formalités ont été ajoutées, notamment des formulaires d’évaluation médicale et psychosociale différents de ceux applicables avant le 1er novembre 2022, des modulations de la tutelle et des délais de réévaluation, détaille Me Petrishki.
« Je dois intervenir dans la majorité des dossiers pour remédier aux vices de procédure pour pouvoir rendre le jugement le plus rapidement possible afin de protéger les droits des personnes vulnérables », dénonce-t-il.
Le greffier spécial se dit également d’avis que le Règlement établissant un projet pilote visant la transformation numérique de l’administration de la justice a porté atteinte au droit des personnes vulnérables d’être entendues.
« Afin de protéger les droits des personnes vulnérables, le greffier spécial doit imprimer le dossier avant de procéder à l’interrogatoire de la personne concernée et détruire le dossier imprimé après l’interrogatoire, ce qui retarde le traitement des dossiers et paralyse davantage les fonctions de la Cour supérieure », critique Me Petrishki.
« Je dois également prendre en considération que si je refuse d’homologuer le mandat, je soumettrais la nomination du tuteur à un nouveau régime législatif qui causera sans doute un retard important », mentionne encore l’avocat.
Depuis le 4 mars 2025, de nouvelles dispositions issues de la Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes sont entrées en vigueur, avec pour objectif, selon Me Petrishki, de rendre la nomination d’un tuteur un processus encore plus long et coûteux.
Ces modifications ont rendu la procédure d’ouverture de tutelle plus lourde en exigeant désormais de tout tuteur ou représentant temporaire proposé de fournir un certificat d’absence ou une liste d'antécédents judiciaires ainsi qu’une déclaration sous serment affirmant l’absence de jugements en matière civile rendus contre le tuteur proposé, ou énumérant ces jugements le cas échéant, et précisant s’il a déjà fait faillite ou non.
Selon Me Pertrishki, il est « évident » que ces nouvelles exigences auraient comme conséquence un retard de la procédure et des frais supplémentaires pour le demandeur et le mandant.
Le rôle du tribunal : appliquer la proportionnalité face à l'urgence
Face à ce contexte législatif lourd et complexe, et comme un dossier d’ouverture d’une tutelle à une personne vulnérable ou d’homologation de son mandat de protection est « toujours urgent », le greffier spécial se voit forcé de faire un choix « entre le respect de la procédure établie et la nécessité de réduire le délai de traitement du dossier afin d’agir dans le meilleur intérêt de la personne concernée », souligne Me Petrishki.
Pour statuer sur la demande qui lui était présentée, Me Petrishki a dû appliquer le principe de proportionnalité afin d'alléger la procédure. Dans cette affaire où le mandant, âgé de 95 ans, devait être protégé le plus rapidement possible, le greffier spécial n’a pas exigé de preuve complémentaire sur la capacité du nonagénaire pour ne pas causer de retard important.
Me Petrishki a mentionné au passage qu’il avait imprimé le dossier numérique (le dossier « dématérialisé ») afin de respecter le droit du nonagénaire d'être entendu lors de l'interrogatoire, un geste paradoxal imposé par les difficultés du projet pilote de transformation numérique de la justice.
Le mandat de protection a finalement été homologué sans délai, le tribunal concluant que le mandant était « probablement apte » au moment de la signature et qu’il acceptait l’homologation, agissant ainsi dans son meilleur intérêt, malgré les doutes procéduraux.
Droit-inc a tenté d’obtenir les commentaires du ministère de la Justice sur les critiques de Me Petrishki, mais il nous a référés au Curateur public… qui n’avait pas de commentaires à formuler.