Une avocate se rappelle la bataille pour le droit à l’avortement

Daphnée Hacker-B.
2013-01-29 10:15:00
Le 28 janvier 1988, l’équipe de Morgentaler a gain de cause et la Cour suprême accorde aux Canadiennes le droit d'avoir recours à l'avortement lorsqu'elles le désirent.

Pourquoi avez-vous décidé de vous impliquer dans cette cause?
J’ai toujours voulu défendre les droits des femmes, c’est d’ailleurs ce qui m’a motivée à devenir avocate. À l’époque, j’étais donc une jeune féministe qui avait envie d’aider à changer les choses.
Comment s’est articulé votre implication?
C’était en 1975. Le Dr Morgentaler était d’ailleurs emprisonné lorsque nous avons créé le Comité de lutte pour l’avortement et la contraception libres et gratuits. Nous étions en contact avec des organisations hospitalières qui permettaient les « avortements thérapeutiques », les seuls permis au sens du Code criminel.
Qu’est-ce qu’on entendait par « avortement thérapeutique »?
C’était lorsqu’un docteur jugeait que la poursuite de la grossesse était trop risquée pour la santé de la mère.
Est-ce que les hôpitaux étaient nombreux à offrir ce service?
Non, la majorité des médecins étaient encore très conservateurs. Environ 90% des établissements refusaient de collaborer avec nous au début, et tranquillement, la pratique est devenue plus généralisée.
Et donc pour un grand nombre de femmes, la seule option était de se rendre à New York?
Exact. Nous avions rencontré une docteure qui acceptait d’effectuer de telles opérations. J’ai donc accompagné des centaines de femmes à New York. Les voyages étaient très difficiles pour ces dames qui arrivaient parfois de très loin en région. Nous partions tard le soir de Montréal, les avortements se faisaient les uns à la suite des autres, puis nous revenions tout de suite au Québec la journée même.
Comment avez-vous vécu ces expériences?
C’était toujours émouvant. Ces femmes vivaient un drame, souvent à l’insu de leur mari, de leurs parents… aucune d’elles ne trouvaient qu’un tel choix était facile, mais c’était nécessaire dans leur situation. C’est autour de ce principe de la nécessité, un principe fondamental, que s’est articulé la défense du docteur Morgentaler.
Pouvez-vous nous en dire plus?
Le Dr Morgentaler était un féministe, mais c’était surtout un grand humaniste qui ne portait pas de jugement. Il connaissait la réalité des femmes qui avaient économisé les sous nécessaires et avaient eu le courage de venir à son bureau, il savait que c’était un geste réfléchi. Son avocat a utilisé cette défense de la nécessité pour faire valoir les actions de son client… Je me rappelle que Me Sheppard m’ait déjà dit : « j’ai eu une bonne cause, car j’ai un grand client. »
Comment avez-vous accueilli le jugement de la Cour suprême?
Ce fut une réelle célébration du droit des femmes. Mais ce droit est encore menacé. On se rappelle, il y a seulement 15 ans, l’affaire où Chantal Daigle s’est fait interdire le droit à l’avortement par la Cour d’appel à la suite des démarches de son ex-conjoint. Heureusement, ce jugement a été annulé par la Cour suprême.
Un exemple plus récent est celui du projet de loi C-338 des conservateurs de Stephen Harper, qui, en 2006, voulaient criminaliser les avortements pratiqués après la 20e semaine. Même s’il est infructueux, un tel projet nous rappelle de la fragilité de ce dossier.