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Sortir de l’impasse : rôle des conventions entre actionnaires et des clauses ultimatum pour régler des litiges

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Claire Huang, Isabelle Guevara Et Michael Christ

2025-04-24 11:15:33

Focus sur le rôle des conventions entre actionnaires et des clauses ultimatum en cas de litiges…


Claire Huang, Isabelle Guevara et Michael Christ - source : McMillan


Une convention entre actionnaires est un document indispensable qui décrit les droits, les responsabilités et les obligations des actionnaires d’une société. Des litiges peuvent survenir entre les actionnaires pour diverses raisons et, en l’absence de mécanismes appropriés, ces conflits peuvent menacer la stabilité et la rentabilité d’une société.

Le présent bulletin examine l’importance des conventions entre actionnaires pour la prévention et la gestion des litiges, et met l’accent sur le rôle des clauses ultimatum pour régler certaines situations.

Conventions entre actionnaires et litiges entre actionnaires

Les conventions entre actionnaires sont des contrats exécutoires entre une société et ses actionnaires qui régissent la relation entre ces parties. Les dispositions d’une convention entre actionnaires portent souvent sur la conduite et la gestion des affaires générales, le financement de l’entreprise, les apports des actionnaires, les restrictions sur les transferts d’actions, les droits de premier refus, les droits d’entraînement et de suite, les transferts d’actions en cas de décès, le défaut d’un actionnaire et les mécanismes de règlement des litiges.

Bien que les dispositions particulières d’une convention entre actionnaires doivent être adaptées aux besoins et aux circonstances uniques de l’entreprise, elles doivent être suffisamment souples pour continuer de s’appliquer alors que l’entreprise croît et que les besoins des actionnaires évoluent. Une convention entre actionnaires bien rédigée constitue également un moyen efficace de gérer, de prévenir et de réduire au minimum les conflits entre les actionnaires.

Puisqu’elle décrit les droits et les responsabilités de chaque partie, cette convention permet de garantir que toutes les parties comprennent leurs rôles et la marche à suivre en cas de désaccord. Les dispositions relatives au règlement des litiges dans les conventions entre actionnaires devraient préciser clairement la façon dont les conflits seront réglés et établir un calendrier et une procédure clairs pour le règlement des litiges.

La médiation peut être le meilleur moyen de régler certains conflits. Elle offre un processus collaboratif et confidentiel pour régler les désaccords, mais elle n’aboutit pas toujours à des résultats exécutoires. Une autre possibilité, qui peut être plus avantageuse, est l’arbitrage, puisqu’il offre un règlement exécutoire sans recours aux tribunaux; cependant, il peut être plus coûteux et moins souple que la médiation.

Les parties peuvent également intenter des poursuites, bien que le processus judiciaire puisse être long et coûteux, et les sociétés fermées peuvent ne pas vouloir rendre publics des détails privés de leurs activités. Quel que soit l’outil de règlement de conflits utilisé, l’établissement d’une approche structurée pour régler les litiges entre actionnaires peut éviter des retards inutiles et protéger les intérêts à long terme de l’entreprise.

Clauses de rachat forcé ou clauses ultimatum

Dans de nombreux cas, les conventions entre actionnaires comprennent une clause de rachat forcé (aussi appelée clause ultimatum) afin d’éviter une impasse si les actionnaires ne peuvent parvenir à un règlement. Une clause ultimatum prévoit un mécanisme permettant à un ou plusieurs actionnaires de racheter les actions d’un ou de plusieurs autres actionnaires pour régler des conflits qui ne peuvent pas être réglés par d’autres moyens.

Les clauses ultimatum sont habituellement invoquées à la suite d’événements ou de conditions précis décrits dans la convention entre actionnaires, comme des litiges entre actionnaires, des situations d’impasse ou des manquements importants par un actionnaire. Bien que les clauses ultimatum puissent offrir une solution pratique aux litiges commerciaux, elles comportent des risques importants, en particulier la possibilité d’un renversement.

L’actionnaire qui reçoit l’offre de vendre ses actions peut soit accepter l’offre et vendre ses actions, soit acheter toutes les actions du pollicitant aux mêmes conditions. Cela crée un risque inhérent pour le pollicitant, puisqu’il pourrait être forcé de vendre ses actions. Par conséquent, il est essentiel que le pollicitant évalue soigneusement la situation financière du pollicité avant de présenter une offre aux termes d’une clause ultimatum. Pour qu’une offre présentée aux termes d’une clause ultimatum soit exécutoire, le pollicitant et le pollicité doivent tous deux respecter rigoureusement les procédures du processus d’achat-vente décrites dans la convention entre actionnaires.

Afin d’éviter toute incertitude ou confusion, la clause ultimatum doit être rédigée de façon précise et claire. Si la clause est vague ou ambiguë, elle pourrait être jugée inapplicable. Comme les clauses ultimatum entraînent la vente forcée d’actions, elles sont souvent considérées comme un dernier recours. Elles sont habituellement invoquées seulement lorsque d’autres méthodes de règlement de conflits n’ont pas permis de régler le litige. La clause ultimatum vise à fournir un moyen définitif et sans appel de mettre fin à une impasse ou à un litige, mais son utilisation peut perturber les relations avec les actionnaires et l’entreprise dans son ensemble.

Étude de cas : Jeana Ventures Ltd. v Garrow

L’affaire Jeana Ventures Ltd. v Garrow de 2023 fournit des renseignements précieux sur l’application des clauses ultimatum et sur l’approche adoptée par les tribunaux de la Colombie-Britannique lorsqu’ils examinent ces clauses. Cette affaire mettait en cause deux personnes, Sallay et Garrow, qui, par leurs sociétés à peu d’actionnaires respectives, ont investi conjointement dans l’aménagement des propriétés situées au 1103 Gilston Road et au 1449 Sandhurst Place, dans West Vancouver.

Chacune de ces propriétés était affiliée à une société de portefeuille. La société de Sallay était Jeana Ventures Ltd. (« Jeana »), et les sociétés de Garrow étaient ADC Projects Ltd. (« ADC Projects ») et ADC Holdings Ltd. (« ADC Holdings »). Sallay et Garrow, par leurs sociétés respectives, ont conclu deux conventions entre actionnaires distinctes avec chacune des deux sociétés de portefeuille. Jeana et ADC Projects étaient les actionnaires parties à la convention entre actionnaires relative à la propriété sur Gilston Road (la « Convention Gilston »).

Jeana et ADC Holdings étaient les actionnaires parties à la convention entre actionnaires relative à la propriété sur Sandhurst Place (la « Convention Sandhurst »). Les deux conventions contenaient la même clause ultimatum. La clause ultimatum permettait à un actionnaire de mettre fin à l’entente d’actionnariat en offrant, par écrit, à l’autre actionnaire la possibilité d’acheter ou de vendre ses actions.

La clause prévoyait que, si le pollicité ne répondait pas dans les trente jours suivant la réception de l’offre, il serait réputé avoir choisi de racheter les parts du pollicitant. Sallay avait versé sa part des contributions au financement des investissements, mais, malgré la nature conjointe des investissements, Garrow n’avait versé qu’une fraction de sa part. Pour tenter de tirer profit des investissements de Sallay, Garrow a invoqué la clause ultimatum prévue dans chaque convention entre actionnaires. Pour ce faire, il a envoyé des lettres de la part d’ADC Holdings, et signée par elle, conformément aux instructions de Garrow.

Étant donné que la décision de Garrow d’invoquer les clauses ultimatum était l’aboutissement de mois de fraude contre Sallay, Jeana a intenté des poursuites judiciaires contre Garrow et ce dernier a présenté une demande reconventionnelle. Dans le cadre de la demande reconventionnelle de Garrow, la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « CSCB ») s’est penchée sur la question de savoir si Sallay avait violé chacune des clauses ultimatum lorsqu’il a refusé d’exercer l’option d’achat ou de vente invoquée par Garrow.

La CSCB a finalement conclu que Sallay n’avait violé aucune de ces clauses. Pour en arriver à cette conclusion, la CSCB a souligné les aspects suivants des clauses ultimatum en invoquant des décisions antérieures de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.

  • Doctrine de la connexité. La doctrine de la connexité, qui empêche les particuliers ou les entités qui ne sont pas parties à une convention de faire appliquer les modalités de la convention ou d’en tirer profit, s’applique aux conventions entre actionnaires et, par conséquent, aux clauses ultimatum. Dans cette affaire, Garrow a tenté d’exercer la clause ultimatum de la Convention Gilston par l’intermédiaire d’une personne morale distincte des parties à la convention entre actionnaires (ADC Holdings), ce qui était contraire à la doctrine de la connexité.
  • Actions frauduleuses. Les actions frauduleuses peuvent libérer un actionnaire de toute obligation de se conformer à une clause ultimatum invoquée. La CSCB a souligné l’importance de l’égalité de l’information et des participations comparables pour que soit bien appliquée une clause ultimatum. Lorsque ces éléments sont absents, un actionnaire risque d’être forcé de vendre ou d’acheter des actions à des conditions injustes ou désavantageuses. Dans cette affaire, Garrow a violé la Convention Sandhurst lorsqu’il a intentionnellement omis de verser les contributions requises à l’investissement conjoint. La CSCB a jugé que cette omission constituait un acte frauduleux de la part de Garrow, ce qui a soustrayait Sallay à l’obligation de se conformer à la clause ultimatum.
  • Irrévocable. Lorsqu’une véritable clause ultimatum est exercée, elle est irrévocable. L’objet d’une clause ultimatum est de mettre fin à la relation d’actionnaires à des conditions mutuellement équitables et la rendre révocable serait incompatible avec cet objet.
  • Une conformité stricte, mais pas parfaite. Afin d’invoquer correctement une clause ultimatum, les parties à la convention entre actionnaires doivent adhérer strictement aux conditions préalables de la clause sur lesquelles elles se sont entendues dans la convention entre actionnaires. Les tribunaux ne cherchent pas une conformité parfaite. Lorsqu’ils évaluent la conformité, les tribunaux adoptent plutôt une approche plus pratique pour permettre à la convention entre actionnaires d’être applicable et d’atteindre ses fins commerciales.

Points principaux à retenir

En établissant des outils et des mécanismes de règlement de conflits, les conventions entre actionnaires peuvent aider à prévenir et à réduire au minimum les désaccords entre les actionnaires qui pourraient s’aggraver et nuire aux affaires. Une clause ultimatum bien rédigée peut être un moyen efficace de sortir de l’impasse si les actionnaires ne peuvent pas régler leurs litiges. Les clauses ultimatum doivent être clairement rédigées de manière à ne laisser aucune place à l’ambiguïté ou à l’incertitude qui pourrait les rendre inapplicables.

Il n’est pas nécessaire de se conformer parfaitement aux conditions d’une clause ultimatum, mais les tribunaux examineront si les actionnaires ont strictement respecté les modalités de la clause. Dans l’ensemble, une convention entre actionnaires bien rédigée, en particulier une convention qui comprend une clause ultimatum, peut jouer un rôle essentiel dans la préservation de la stabilité de l’entreprise et le règlement efficace des litiges.

À propos des auteurs

Claire Huang est une avocate en droit des affaires chez McMillan qui exerce dans plusieurs territoires. Elle possède de l’expérience en fusions et acquisitions, en placements stratégiques et de capital-investissement, en financement des entreprises et en arrangements commerciaux.

Isabelle Guevara se spécialise en droit des affaires et en services financiers au sein du cabinet McMillan. Sa pratique couvre une vaste gamme de dossiers liés à l’entreprise, au commerce et aux finances.

Michael Christ est stagiaire chez McMillan.

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