Une avocate mobilise la communauté juridique pour la Syrie

Sonia Semere
2025-09-05 14:15:55
Sensibiliser et mobiliser la communauté aux défis des réfugiés syriens : la mission d’une avocate québécoise…
Le 24 décembre 2000, Me Safa Hammoud, avocate-enquêtrice chez Latitude, fuyait la Syrie avec toute sa famille pour s’installer au Québec. 25 ans plus tard, elle choisit à son tour de redonner en lançant le défi La Route du Jasmin.

Les 11 et 12 octobre prochains, une cinquantaine de cyclistes pédaleront de Montréal à Québec, en passant par Trois-Rivières, soit plus de 270 km en deux jours.
L’objectif derrière ce défi est double : récolter 100 000 $ et sensibiliser le public à la situation en Syrie, en suscitant empathie et solidarité envers les réfugiés et les victimes du conflit.
L’intégralité des fonds sera reversée au HCR, qui accompagne actuellement le retour progressif des déplacés et des réfugiés. Me Joey Hanna, chef du bureau montréalais, et lui-même d’origine syrienne, a été profondément touché par l’initiative de sa consœur.
Selon lui, la sensibilisation à ce sujet est cruciale. « À travers chaque participant, il y a potentiellement plusieurs centaines de personnes qui découvrent la cause, s’informent et deviennent plus sensibles à la réalité syrienne », nous confie-t-il.
Lancé pour soutenir les réfugiés syriens, ce défi a été l’occasion idéale pour Droit-inc de jaser avec Me Hammoud. Car son choix de s’orienter vers le rôle d’avocate-enquêtrice, un rôle définitivement tourné vers « l’humain » s’explique sans aucun doute par son vécu. Rencontre.
Qu’est-ce qui vous a amenée vers le droit, et plus particulièrement vers la pratique d’avocate-enquêtrice?
Au départ, en choisissant le droit, j’avais ce désir très idéaliste de défendre la veuve et l’orphelin, comme aime le dire mon oncle. J’ai donc commencé par me lancer dans le litige civil et commercial. C’était pour moi une excellente école : ça m’a permis d’acquérir une solide rigueur, d’apprendre énormément et de découvrir concrètement la pratique juridique. Mais avec le temps, j’ai ressenti le besoin de donner davantage de sens à mon travail.
Je voulais une pratique avec une vocation plus humaine, plus utile. C’est ainsi que je me suis orientée vers les enquêtes en matière de harcèlement au travail. Cela m’a permis de concilier mon intérêt pour le droit avec mon désir de contribuer à des milieux de travail plus justes et respectueux.
Quels sont, selon vous, les défis propres au rôle d’avocate-enquêtrice? Qu’est-ce qui distingue cette pratique d’un rôle plus classique d’avocat?
En litige, l’avocat défend une partie précise : son rôle est de représenter et protéger ses intérêts. En tant qu’avocate-enquêtrice, ma position est complètement différente : je suis neutre et impartiale. Je ne représente ni l’employeur, ni l’employé. Mon objectif est de comprendre ce qui s’est réellement passé, d’écouter toutes les parties et d’évaluer, de manière objective, s’il y a eu harcèlement ou non. Cette posture change tout : elle m’oblige à être attentive, à l’écoute, et à rester équilibrée du début à la fin du processus.
On parle peu de cette pratique à l’université, et beaucoup d’étudiants la connaissent mal. Quels conseils donneriez-vous à ceux qui aimeraient s’orienter dans ce domaine?
C’est un domaine appelé à croître. Aujourd’hui, il existe encore peu de bureaux spécialisés exclusivement en harcèlement, mais je crois que ce sera très différent dans quelques années. Comme on me le répétait beaucoup à l’université : « le droit mène à tout ». C’est une réalité. Le droit ne se limite pas au litige civil ou commercial, il peut aussi ouvrir vers des pratiques moins connues mais tout aussi essentielles, comme celle-ci.
Mon conseil aux étudiants serait de rester ouverts, curieux, et d’explorer ces nouvelles voies juridiques qui prennent de plus en plus de place.
Vous lancez aujourd’hui un défi à la communauté juridique et au grand public pour soutenir les réfugiés syriens. Quel est votre lien personnel avec la Syrie?
Avec mes parents, nous avons quitté la Syrie le 24 décembre 2000. J’avais 6 ans, et ce jour m’a particulièrement marquée : il y avait un père Noël dans l’avion qui nous avait offert un petit cadeau à ma sœur et moi, je l’ai encore aujourd’hui. Ma sœur avait compris que nous ne reviendrions pas en Syrie, mais de mon côté, j’étais surtout excitée à l’idée de découvrir le Canada et la neige. Par la suite, nous sommes retournés chaque été en Syrie.
Ces voyages étaient l’occasion de retrouver toute la famille dispersée à travers le monde, à Damas, à Lattaquié ou encore dans le village natal de ma mère. Ce sont des souvenirs très précieux.
Aujourd’hui encore, la Syrie fait partie de mon quotidien : nous parlons arabe à la maison, j’écris en arabe avec ma grand-mère, et nous mangeons des plats syriens presque tous les jours. Ce défi est pour moi une façon de faire rayonner cette histoire familiale, mais aussi celle de millions d’autres familles.
Le parcours de mes parents n’est pas unique : tant de familles ont dû quitter leur maison, leurs repères, pour offrir un avenir meilleur à leurs enfants. À travers ce projet, j’espère rendre hommage à leurs sacrifices, à leur courage, et plus largement à l’histoire commune de nombreux immigrants.