Influenceurs et publicité mensongère : quelle responsabilité juridique?

Juliette Oger-Chambonnet Et Paul Déry-Goldberg
2025-09-24 11:15:55
Quelle responsabilité juridique pour les influenceurs en matière de publicité mensongère?

À l’ère des médias sociaux, les influenceurs jouent un rôle central dans les campagnes publicitaires. Leur proximité avec leur audience donne du poids à leurs recommandations—mais c’est justement cette proximité qui justifie un encadrement rigoureux. La frontière entre opinion personnelle et contenu commandité peut être mince, voire trompeuse.
Quels sont donc les devoirs juridiques des influenceurs? Et quels risques courent-ils en cas de publicité mensongère?
Un cadre juridique en construction
Au Canada, plusieurs lois et lignes directrices encadrent déjà le marketing d’influence, bien que la jurisprudence demeure encore limitée quant aux cas impliquant directement des influenceurs pour publicité mensongère. Le cadre juridique applicable repose principalement sur :
La Loi sur la concurrence, qui prévoit des sanctions en cas de pratiques commerciales trompeuses;
La Loi sur la protection du consommateur (Québec), qui protège les consommateurs contre les représentations trompeuses ou incomplètes;
Le Code canadien des normes de la publicité, administré par les Normes de la publicité et fixant les critères d’acceptabilité de la publicité au Canada;
Les orientations du Bureau de la concurrence, concernant les pratiques de marketing trompeuses ainsi que le marketing d’influence en particulier.
Jurisprudence étrangère : un avertissement venu de France
Bien que la jurisprudence canadienne soit encore limitée sur ces questions, l’exemple d’autres juridictions montre que les sanctions peuvent être bien réelles. En France, une influenceuse a été sanctionnée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour avoir fait la promotion d’un site de formation en ligne au trading sans divulguer qu’elle avait été rémunérée pour cette promotion.
Elle présentait son témoignage comme une expérience personnelle désintéressée, alors qu’il s’agissait d’une publicité. Elle a été reconnue coupable de pratiques commerciales trompeuses et condamnée à payer une amende de 20 000 euros.
Trois grandes obligations pour les influenceurs québécois
Divulguer tout lien important avec l’annonceur
L’obligation la plus essentielle est celle de la transparence. Un influenceur doit divulguer clairement et visiblement tout « lien important » avec une entreprise dont il fait la promotion. Un lien est dit « important » lorsqu’il est susceptible d’influencer l’évaluation de l’objectivité de l’influenceur, notamment par une rémunération ou une relation contractuelle ou personnelle avec la marque.
Quelques bonnes pratiques :
Mentionner des mots-clics explicites comme #publicité, #commandité, #partenaireXYZ, au tout début du contenu.
Ne pas dissimuler l’information dans une longue liste de hashtags ou dans la description du profil.
Utiliser un langage clair, simple et accessible
Les divulgations doivent être faciles à comprendre pour le public visé. Les normes exigent que le public comprenne, dès la première lecture, qu’il s’agit d’un contenu commandité.
Fonder ses déclarations sur une expérience réelle et authentique
L’influenceur doit être honnête dans ses propos et s’en tenir à son expérience personnelle avec le produit ou service. Il est notamment interdit de :
Faire des promesses irréalistes ou des allégations non vérifiables.
Faire de fausses représentations concernant la rentabilité d’une occasion d’affaires.
Quelles sont les sanctions possibles?
Le rôle des Normes canadiennes de la publicité (NCP)
Le NCP est un organisme d’autoréglementation qui reçoit les plaintes des consommateurs. Bien qu’il ne puisse pas imposer d’amendes, il peut demander à l’annonceur ou à l’influenceur de retirer le contenu problématique. En cas de refus, il peut transmettre le dossier au Bureau de la concurrence pour enquête.
Le Bureau de la concurrence : des sanctions civiles et criminelles
Le Bureau de la concurrence est un organisme indépendant chargé de veiller à l’application de la Loi sur la concurrence. Il dispose d’un large pouvoir d’enquête et peut intervenir lorsqu’un contenu publicitaire est jugé trompeur. Les contrevenants s’exposent à des poursuites criminelles ou civiles. Sur le plan criminel, les sanctions peuvent aller jusqu’à une amende de 200 000 $ et un emprisonnement maximal de 14 ans, selon que l’infraction est poursuivie par mise en accusation ou de façon sommaire.
Sur le plan civil, le Bureau peut demander au tribunal d’imposer des sanctions administratives pécuniaires pouvant atteindre 1 000 000 $ pour une personne physique et jusqu’à 15 000 000 $ pour une personne morale, en cas de récidive.
Le cas du Québec : l’Office de la protection du consommateur (OPC)
L’OPC veille à l’application de la Loi sur la protection du consommateur et dispose d’un pouvoir d’enquête étendu. Il peut imposer des amendes minimales de 2 500$ et allant jusqu’à plusieurs centaines de milliers de dollars en cas de publicité trompeuse.
Cet article a été publié à l’origine sur le site de KRB.
À propos des auteurs
Juliette Oger-Chambonnet est stagiaire du Barreau chez KRB.
Paul Déry-Goldberg est un associé du groupe de litige de KRB.