La notion de privilège dans un contexte patient-thérapeute : des aveux admissibles en preuve?
Anne-geneviève Robert
2021-10-20 11:15:00
Contexte
Il s’agit d’une affaire dans laquelle M. Chatillon, l’appelant, souffrait de problème de déviance sexuelle. Dans sa recherche d’aide, il décide d’entamer une démarche complètement volontaire afin de recevoir des soins. Lors d’une de ses thérapies auprès d’un des intervenants lui venant en aide, il relate certains faits, à savoir des crimes sexuels commis sur un jeune enfant à deux occasions.
La Cour d’appel doit donc se pencher sur la question à savoir si ces aveux, faits volontairement à son équipe de thérapeutes, étaient protégés en droit par un privilège et de ce fait, s’ils étaient admissibles en preuve contre lui. Il est important de noter qu’il s’agissait en l’occurrence de la seule preuve que le Ministère public détenait dans ce dossier.
M. Chatillon, lors d’une de ses évaluations auprès d’un professionnel de l’institut Pinel, a raconté les deux événements représentant finalement des infractions criminelles. Pour lui, il était clair que les échanges qu’il entretenait avec ses intervenants étaient confidentiels et protégés par leur secret professionnel.
C’est d’ailleurs ce qui lui avait été confirmé par le passé par d’autres professionnels de la santé. L’intervenant ne lui a non plus jamais fait part du fait que ses propos pouvaient être transmis à la police.
Quelques jours plus tard, il rencontre un autre médecin qui détenait notamment le rapport de la criminologue à qui les aveux avaient initialement été faits. Les crimes sont rediscutés, mais jamais M. Chatillon n’est informé d’une quelconque obligation de dénonciation, par exemple à la DPJ, par le médecin.
Dans le cadre de ses démarches thérapeutiques, M. Chatillon comprenait l’importance d’être honnête et transparent pour que celles-ci soient concluantes. Après ses aveux, l’appelant explique qu’il a alors été informé qu’il devait lui-même communiquer avec la DPJ dans le but de savoir si la victime avait des séquelles psychologiques et ainsi pouvoir l’aider.
Il est alors pris en charge par une doctorante en psychologie afin de lui faire passer une évaluation d’admission pour une thérapie de groupe. Ayant en main les aveux faits précédemment, elle souhaitait alors déterminer avec M. Chatillon qui communiquerait les faits à la DPJ : serait-ce elle-même, lui seul, ou les deux ensemble?
Ce sont les trois choix dont l’appelant disposait. Pour la doctorante, il était clair qu’elle avait l’obligation légale de dénoncer les crimes auprès de la DPJ.
M. Chatillon était somme toute d’accord à en informer la DPJ, mais n’était pas au courant que cela finirait du côté de la police, un fait important qui n’avait jamais été abordé. Aucune mise en garde ne lui a été faite.
Évidemment, il affirme qu’il n’aurait rien dit s’il avait su que ses aveux faits aux thérapeutes pouvaient finalement servir à l’incriminer. M. Chatillon n’a jamais posé de question à ses intervenants en qui il avait pleine confiance.
Décision
Lors de son procès, l’appelant a contesté l’admissibilité en preuve de ses déclarations incriminantes. Une requête en exclusion de la preuve a donc été déposée en vertu des articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le débat portait sur le test de Wigmore en lien avec la notion de privilège dans le but de protéger sa relation avec les professionnels de la santé.
En première instance, le juge avait conclu que « les professionnels avaient l’obligation de dénoncer les comportements de l’appelant à la DPJ, nonobstant le secret professionnel qui caractérise la relation thérapeutique » (par. 35) puisqu’au terme de son analyse, il retient que seul le 3e critère de la méthode Wigmore est satisfait.
Il convient donc de reprendre les quatre critères de l’analyse en question, tel qu’énoncés au paragraphe 36 de la décision de la Cour d’appel :
#Les communications ont été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées;
#Le caractère confidentiel est un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties;
#Les rapports sont de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment; et
#Le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications est plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision.
La Cour d’appel rappelle que la pièce R-1, déposée en preuve et contenant les aveux de M. Chatillon, représente l’unique preuve que le Ministère public possède contre l’appelant.
Contrairement au tribunal de première instance, la Cour n’est pas convaincue qu’il existait un réel état de compromission de l’enfant dans les faits en l’espèce et qu’en conséquence, il n’y avait aucune obligation légale pour les professionnels aidant l’appelant de le dénoncer à la DPJ. La Cour n’est pas non plus convaincue que la DPJ était légalement tenue de faire à son tour un signalement à la police.
Le tribunal est en accord avec le fait que l’analyse proposée par le professeur Wigmore est celle qui doit être retenue dans cette cause. Il est également rappelé que « le fardeau appartient à la partie qui invoque le privilège de démontrer que chacun des facteurs ou critères à son application est satisfait » (par. 52).
La Cour d’appel est d’avis que le juge de première instance a erré dans son analyse des deux premiers critères lorsqu’il conclut qu’ils ne sont pas rencontrés. Pour lui, le fait que la thérapie était en groupe annulait l’attente de confidentialité qu’entretenait l’appelant.
Or, pour le tribunal supérieur, la possibilité qu’un élément soit divulgué à un tiers n’écarte pas l’attente de confidentialité. En fait, pour la Cour d’appel, les trois premiers critères sont rencontrés, et le 4e demeure à être analysé.
« Ce critère repose sur les circonstances propres à une affaire, si bien que la conclusion n’établit pas une règle immuable, voire générale. Des faits différents peuvent mener à des conclusions différentes. » (par. 54)
Tout en rappelant les enseignements de la Cour suprême, l’Honorable juge Vauclair mentionne que le 4e critère exige que l’intérêt d’exclure une communication l’emporte sur l’intérêt de la recherche de la vérité. La Cour rappelle également le principe selon lequel la common law doit être évolutive afin de refléter les nouvelles valeurs protégées par la Charte.
« Plus particulièrement, il est indéniable que doit être considérée dans l’exercice la valeur fondamentale de la Charte qui protège contre l’auto-incrimination : art. 7, 10, 11 et 13 de la Charte. Utiliser les communications confidentielles entre un thérapeute et son patient comme unique preuve de culpabilité entre certainement en collision avec les valeurs de la Charte. »
Ainsi, il faut tenir compte de l’importance de la protection contre l’auto-incrimination quand vient le temps d’analyser la notion de privilège dans les rapports entre un thérapeute et son patient.
Bien sûr, certaines situations permettront de conclure à l’admission en preuve d’aveux faits par une personne pour servir contre elle-même, même dans le cadre d’une relation de thérapie, comme l’a démontré l’intimée par certains arrêts cités mais qui, au final, différaient des faits en l’espèce.
Or, dans la cause qui nous concerne, la Cour d’appel conclut que les déclarations faites par le patient étaient de nature privilégiée et devaient être exclues de la preuve.
« (71) Il m’apparaît injuste et contraire aux valeurs de la Charte d’utiliser contre l’appelant ses aveux faits dans le cadre d’une démarche thérapeutique volontairement entreprise auprès d’un organisme traitant les déviances sexuelles afin de discuter de déviance sexuelle. Si, bien sûr, une déviance sexuelle n’a pas à constituer un crime, il demeure que la nature même des aveux est ici au cœur de la problématique et de l’aide recherchée. Il s’agit d’un élément contextuel important. »
La Cour d’appel insiste sur le fait que la démarche thérapeutique en cause n’était guidée par aucun autre objectif que de régler une problématique personnelle grave et que celle-ci était fondamentalement personnelle et entamée de bonne foi.
L’appelant n’ayant jamais été informé que ses aveux pouvaient éventuellement servir à l’incriminer, le Tribunal trouve étonnant qu’aucun protocole clair ne soit mis en place dans le cadre de l’accueil des patients afin de pallier cette problématique puisqu’il est évident que certains d’entre eux pourront avoir commis des infractions de nature criminelle.
De plus, il n’y avait en l’espèce aucun danger nécessitant une action immédiate contre M. Chatillon. La Cour rappelle que certaines lois permettent aux professionnels de lever leur secret professionnel dans certaines circonstances exceptionnelles, notamment lorsqu’il y a compromission d’un enfant.
Des mécanismes sont donc déjà mis en place dans le but de protéger la société de certains patients qui consultent des professionnels qui, autrement, seraient tenus de conserver la confidentialité des échanges. Cette exception n’entre toutefois pas en jeu dans le cas présent.
Pour la Cour d’appel, « (c)es dispositions renforcent l’idée que notre société accorde une importance au secret des rapports entre les professionnels et leurs patients et s’accordent avec les valeurs de la Charte. » (par. 75)
Il serait en l’espèce grandement décourageant pour les patients présentant des déviances sexuelles et qui recherchent l’aide nécessaire de ne pas reconnaître que de tels aveux sont protégés par un privilège.
Contrairement au juge de première instance, le tribunal d’appel conclut qu’il s’agit d’une inférence probable, autorisée par la preuve et découlant du bon sens qu’un patient ne se présenterait pas en thérapie si celle-ci menait finalement vers des accusations criminelles.
En conclusion, l’intimée ayant admis que l’inadmissibilité en preuve des déclarations incriminantes de M. Chatillon mènerait directement à son acquittement, la Cour d’appel accueille la requête pour permission d’en appeler de même que l’appel et acquitte l’appelant.
Cet article a originellement été publié sur le Blogue du CRL du Jeune Barreau de Montréal.
Anne-Geneviève Robert est avocate criminaliste et Directrice du groupe Droit pénal chez Riendeau Avocats. Elle a obtenu son baccalauréat en droit à l’Université de Montréal et elle est inscrite au Tableau de l’ordre depuis 2018. Impliquée socialement, elle est membre de l’Association des avocats de la défense de Montréal et siège actuellement sur l’un de ses comités.